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191 LA COMÉDIE FAMEUSE.

do lui. Le bonhomme Astolphe, se voyant maître de cet enfant, craignit qu’on ne le remît entre mes mains : on prétend qu’il s’est enfermé avec lui dans les cavernes du mont Etna, et on ne sait aujourd’hui s’il est mort ou vivant.

Mais laissons cela, et passons à une autre aventure : elle n’est |)as moins étrange, et cependant elle ne paraîtra pas invraisemblable ; car deux aventures pareilles peuvent fort Lien arriver. On n’admire les historiens, et on ne tire du profit de leur lecture, (|ue quand la vérité de l’histoire tient du prodige.

11 faut que vous sachiez qu’il y avait une jeune paysanne nommée Éryphile. L’amour aurait juré qu’elle était reine, puisqu’en effet l’empire est dans la ])eauté ; elle fut dame de mes pensées : il n’y a, comme vous savez, si hère beauté qui ne se rende à l’amour. Or, madame, le jour qu’elle me donna rendez-vous dans son village, je la laissai grosse. Je mis auprès d’elle un confident atte ntif. Ouand j’eus vaincu et tué empereur Maurice, ce confident m’apprit qu’à peine la nouvelle en était venue aux oreilles d’Éryphile, que, ne pouvant supporter mon absence, elle résolut de venir me trouver : elle prit le chemin des montagnes ; les douleurs de l’enfantement la surprirent en chemin dans un désert : mon confident, qui l’accompagnait, alla chercher du secours ; et voyant de loin une petite lumière, il y courut. Pendant ce tempslà un habitant de ces lieux incultes arriva aux cris d’Éryphile ; elle lui dit qui elle était, et ne lui cacha point que j’étais le père de l’enfant : elle crut l’intéresser davantage par cette confidence ; et craignant de mourir dans les douleurs qu’elle ressentait, elle remit entre les mains de cet inconnu mon chiffre gravé sur une lame d’or, dont je lui avais fait présent.

Cependant mon confident revenait avec du monde : l’inconnu disparut aussitôt, emportant avec lui mon fils, et le signe avec lequel on pouvait le reconnaître. La belle Éryphile mourut, sans qu’il nous ait été jamais possible de retrouver ni le voleur ni le vol. Je vous ai déjà dit que la guerre et mes victoires ne m’ont pas laissé le temps de faire les recherches nécessaires. Aujourd’hui, comme tout l’Orient est calme, ainsi que je vous l’ai dit, je reviens dans ma patrie, rempli des deux sentiments de tendresse et de haine, pour m’informer de deux vies qui me tourmentent : l’une est celle du fils de Maurice, l’autre de mon propre fils.

Je crains qu’un jour le fils de Maurice n’hérite de l’empire, je crains quo le mien ne périsse ; j’ignore même encore si cet enfant est un fils ou une fille. Je veux n’épargner ni soins ni peines ; je chercherai par toute l’île, arbre par arbre, branche par branche,