Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/132

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Là, Dieu même a fondé son Église naissante,
Tantôt persécutée, et tantôt triomphante :
Là, son premier apôtre, avec la Vérité,
Conduisit la Candeur et la Simplicité.
Ses successeurs heureux quelque temps l’imitèrent,
D’autant plus respectés que plus ils s’abaissèrent.
Leur front d’un vain éclat n’était point revêtu ;
La pauvreté soutint leur austère vertu ;
Et, jaloux des seuls biens qu’un vrai chrétien désire,
Du fond de leur chaumière ils volaient au martyre.
Le temps, qui corrompt tout, changea bientôt leurs mœurs ;
Le ciel, pour nous punir, leur donna des grandeurs.
Rome, depuis ce temps, puissante et profanée,
Au conseil des méchants se vit abandonnée :
La trahison, le meurtre, et l’empoisonnement,
De son pouvoir nouveau fut l’affreux fondement.
Les successeurs du Christ au fond du sanctuaire
Placèrent sans rougir l’inceste et l’adultère ;
Et Rome, qu’opprimait leur empire odieux,
Sous ces tyrans sacrés regretta ses faux dieux.
On écouta depuis de plus sages maximes ;
On sut ou s’épargner ou mieux voiler les crimes.
De l’Église et du peuple on régla mieux les droits[1] ;
Rome devint l’arbitre, et non l’effroi des rois ;
Sous l’orgueil imposant du triple diadème,
La modeste vertu reparut elle-même.
Mais l’art de ménager le reste des humains
Est, surtout aujourd’hui, la vertu des Romains.
Sixte alors était roi de l’Église et de Rome[2].
Si, pour être honoré du titre de grand homme,
Il suffit d’être faux, austère, et redouté,
Au rang des plus grands rois Sixte sera compté.
Il devait sa grandeur à quinze ans d’artifices ;
Il sut cacher, quinze ans, ses vertus et ses vices :
Il sembla fuir le rang qu’il brûlait d’obtenir,
Et s’en fit croire indigne afin d’y parvenir.

  1. Voyez l’ Histoire des Papes. (Note de Voltaire, 1741.)
  2. Sixte-Quint, étant cardinal de Montalte, contrefit si bien l'imbécile près de quinze années, qu'on l'appelait communément l'âne d'Ancône. On sait avec quel artifice il obtint la papauté, et avec quelle hauteur il régna. (Note de Voltaire, 1730.)