Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/135

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Elle l’en croyait digne, et ses ardents soupirs
Hâtaient cet heureux temps, trop lent pour ses désirs.
Soudain la Politique et la Discorde impie
Surprennent en secret leur auguste ennemie.
Elle lève à son Dieu ses yeux mouillés de pleurs :
Son Dieu, pour l’éprouver, la livre à leurs fureurs.
Ces monstres, dont toujours elle a souffert l’injure,
De ses voiles sacrés couvrent leur tête impure,
Prennent ses vêtements respectés des humains,
Et courent dans Paris accomplir leurs desseins.
D’un air insinuant, l’adroite Politique
Se glisse au vaste sein de la Sorbonne antique ;
C’est là que s’assemblaient ces sages révérés,
Des vérités du ciel interprètes sacrés,
Qui, des peuples chrétiens arbitres et modèles,
À leur culte attachés, à leur prince fidèles,
Conservaient jusqu’alors une mâle vigueur,
Toujours impénétrable aux flèches de l’erreur.
Qu’il est peu de vertus qui résistent sans cesse !
Du monstre déguisé la voix enchanteresse
Ébranle leurs esprits par ses discours flatteurs.
Aux plus ambitieux elle offre des grandeurs ;
Par l’éclat d’une mitre elle éblouit leur vue :
De l’avare en secret la voix lui fut vendue ;
Par un éloge adroit le savant enchanté,
Pour prix d’un vain encens trahit la vérité ;
Menacé par sa voix, le faible s’intimide.
On s’assemble en tumulte, en tumulte on décide.
Parmi les cris confus, la dispute, et le bruit,
De ces lieux, en pleurant, la Vérité s’enfuit.
Alors au nom de tous un des vieillards s’écrie :
« L’Église fait les rois, les absout, les châtie ;
En nous est cette Église, en nous seuls est sa loi :
Nous réprouvons Valois, il n’est plus notre roi.
Serments[1] jadis sacrés, nous brisons votre chaîne ! »

  1. Le 7 de janvier de l'an 1589, la Faculté de théologie de Paris donna ce fameux décret par lequel il fut déclaré que les sujets étaient déliés de leur serment de fidélité, et pouvaient légitimement faire la guerre au roi. Le Fèvre, doyen, et quelques-uns des plus sages, refusèrent de signer. Depuis, dès que la Sorbonne fut libre, elle révoqua ce décret, que la tyrannie de la Ligue avait arraché de quelques-uns de son corps. Tous les ordres religieux qui, comme la Sorbonne, s'étaient déclarés contre la maison royale, se rétractèrent depuis comme elle. Mais si la