Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/152

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L’Église a de tout temps produit des solitaires,
Qui, rassemblés entre eux sous des règles sévères,
Et distingués en tout du reste des mortels,
Se consacraient à Dieu par des vœux solennels.
Les uns sont demeurés dans une paix profonde,
Toujours inaccessible aux vains attraits du monde ;
Jaloux de ce repos qu’on ne peut leur ravir,
Ils ont fui les humains, qu’ils auraient pu servir :
Les autres, à l’État rendus plus nécessaires,
Ont éclairé l’Église, ont monté dans les chaires ;
Mais, souvent enivrés de ces talents flatteurs,
Répandus dans le siècle, ils en ont pris les mœurs :
Leur sourde ambition n’ignore point les brigues ;
Souvent plus d’un pays s’est plaint de leurs intrigues.
Ainsi chez les humains, par un abus fatal,
Le bien le plus parfait est la source du mal.
Ceux qui de Dominique[1] ont embrassé la vie
Ont vu longtemps leur secte en Espagne établie,
Et de l’obscurité des plus humbles emplois
Ont passé tout à coup dans les palais des rois.
Avec non moins de zèle, et bien moins de puissance,
Cet ordre respecté fleurissait dans la France,
Protégé par les rois, paisible, heureux enfin,
Si le traître Clément n’eût été dans son sein.
Clément[2] dans la retraite avait, dès son jeune âge,
Porté les noirs accès d’une vertu sauvage.
Esprit faible, et crédule en sa dévotion,
Il suivait le torrent de la rébellion.
Sur ce jeune insensé la Discorde fatale
Répandit le venin de sa bouche infernale.

  1. Dominique, ne à Calahorra en Aragon, fonda les dominicains en 1215. (Note de Voltaire, 1723.)

    — La ville de Calahorra n'est pas dans l'Aragon, mais dans la Castille vieille. (B.)
  2. Jacques Clément, de l'ordre des dominicains, natif de Sorbonne*, village près de Sens, était âgé de vingt-quatre ans et demi, et venait de recevoir l'ordre de prêtrise lorsqu'il commit ce parricide.

    La fiction qui règne dans ce cinquième chant, et qui peut-être pourra paraître trop hardie à quelques lecteurs, n'est point nouvelle. La malice des ligueurs et le fanatisme des moines de ce temps firent passer pour certain dans l'esprit du peuple ce qui n'est ici qu'une invention du poëte. (Note de Voltaire, 1723.)

    • Serbonnes.