Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/191

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Suivez-moi, les chemins en sont toujours ouverts[1]. »
Ils marchent aussitôt aux portes des enfers[2].
Là, gît la sombre Envie, à l’œil timide et louche[3],
Versant sur des lauriers les poisons de sa bouche ;
Le jour blesse ses yeux, dans l’ombre étincelants
Triste amante des morts, elle hait les vivants[4].
Elle aperçoit Henri, se détourne, et soupire.
Auprès d’elle est l’Orgueil, qui se plaît et s’admire ;
La Faiblesse au teint pâle, aux regards abattus,
Tyran qui cède au crime et détruit les vertus ;
L’Ambition sanglante, inquiète, égarée,
De trônes, de tombeaux, d’esclaves entourée ;
La tendre Hypocrisie, aux yeux pleins de douceur
(Le ciel est dans ses yeux[5], l’enfer est dans son cœur)
Le faux Zèle étalant ses barbares maximes ;
Et l’intérêt enfin, père de tous les crimes.
Des mortels corrompus ces tyrans effrénés,
À l’aspect de Henri, paraissent consternés ;
Ils ne l’ont jamais vu ; jamais leur troupe impie
N’approcha de son âme, à la vertu nourrie :
Quel mortel, disaient-ils, par ce juste conduit,
Vient nous persécuter dans l’éternelle nuit ?
Le héros, au milieu de ces esprits immondes,
S’avançait à pas lents sous ces voûtes profondes.

  1. Virgile a dit (Enéide, VI, 120) :
    Facilis descensus Averno est

    et Racine (Phèdre, acte Ier, scène iii) :
    Mille chemins ouverts y conduisent toujours.
  2. Les théologiens n'ont pas décidé comme un article de foi que l'enfer fût au centre de la terre, ainsi qu'il l'était dans la théologie païenne. Quelques-uns l'ont placé dans le soleil : on l'a mis ici dans un glohe destiné uniquement à cet usage. (Note de Voltaire, 1730.)
  3. C'est encore une imitation de l’Ènéide, chant VI, vers 273 et suivants :
    Vestibulum ante ipsum, primisque in faucibus Orci,
    Luctus et ultrices posuere cubilia Curæ,
    Etc., etc.
  4. Ovide a dit, livre Ier des Amours, élégie xv, vers 39:
    Pascitur in vivis Livor : post fata quiescit.
  5. Le premier hémistiche de ce vers est aussi dans Pandore, acte III, voyez Théâtre, tome II, page 584.