Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/193

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Êtes-vous en ces lieux, faibles et tendres cœurs,
Qui, livrés aux plaisirs, et couchés sur des fleurs,
Sans fiel et sans fierté couliez dans la paresse
Vos inutiles jours, filés par la mollesse ?
Avec les scélérats seriez-vous confondus,
Vous, mortels bienfaisants, vous, amis des vertus,
Qui, par un seul moment de doute ou de faiblesse,
Avez séché le fruit de trente ans de sagesse ?
Le généreux Henri ne put cacher ses pleurs.
Ah ! s’il est vrai, dit-il, qu’en ce séjour d’horreurs
La race des humains soit en foule engloutie[1],
Si les jours passagers d’une si triste vie
D’un éternel tourment sont suivis sans retour,
Ne vaudrait-il pas mieux ne voir jamais le jour ?
Heureux, s’ils expiraient dans le sein de leur mère !
Ou si ce Dieu du moins, ce grand Dieu si sévère,
À l’homme, hélas ! trop libre, avait daigné ravir
Le pouvoir malheureux de lui désobéir !
Ne crois point, dit Louis, que ces tristes victimes[2]

  1. On compte plus de 950 millions d'hommes sur la terre; le nombre des catholiques va à 50 millions : si la vingtième partie est celle des élus, c'est beaucoup ; donc il y a actuellement sur la terre 947 millions 500,000 hommes destinés aux peines éternelles de l'enfer. Et comme le genre humain se répare
    environ tous les vingt ans, mettez, l'un portant l'autre, les temps les plus peuplés avec les moins peuplés, il se trouve qu'à ne compter que 6,000 ans depuis la création, il y a déjà 300 fois 947 millions de damnés. De plus, le peuple juif ayant été cent fois moins nombreux que le peuple catholique, cela augmente le nombre des damnés prodigieusement : ce calcul méritait bien les larmes de Henri IV. (Note de Voltaire, 1740.)

    — C'est ainsi, sauf une petite erreur dans le calcul (120 fois, au lieu de 300 fois), qu'on trouve cette note dans l'édition de la Henriade donnée par Marmontel en 1746, et dans l'édition des Œuvres, qui est de la même année. Dans cette dernière, elle est marquée d'un astérisque, tandis que les autres notes ont des lettrines. Elle ne fut pas reproduite dans les éditions de 1748, 1751, 1752, 1756,1764, 1768, 1775,

    Dans une édition de 1748 (autre que celle de Dresde), et que je crois d'Amster- dam ou de Rouen, elle est remplacée par celle-ci :

    « Ces vers ont un rapport bien sensible à la terrible vérité du petit nombre des élus; et, sans vouloir ici effrayer les imaginations faibles par un calcul qui n'est que trop juste, il suffit de renvoyer aux paraboles des épis laissés après la moisson, et des grappes échappées à la diligence du vendangeur. Voyez surtout le sermon de l'évéque de Clermont (Massillon) sur le petit nombre des élus, lequel est un chef-d'œuvre d'éloquence, et le modèle presque inimitable des sermons. »(B,)
  2. Ce vers et les onze qui le suivent ont été ajoutés dans l'édition de 1728.