Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/227

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La foudre en est formée, et les mortels frémissent.
Mais loin de leurs coursiers, par un subit effort,
Ces guerriers malheureux cherchent une autre mort ;
Déjà brille en leurs mains le fatal cimeterre.
La Discorde accourut ; le démon de la guerre,
La Mort pâle et sanglante, étaient à ses côtés.
Malheureux, suspendez vos coups précipités !
Mais un destin funeste enflamme leur courage ;
Dans le cœur l’un de l’autre ils cherchent un passage[1],
Dans ce cœur ennemi qu’ils ne connaissent pas.
Le fer qui les couvrait brille et vole en éclats ;
Sous les coups redoublés leur cuirasse étincelle[2] ;
Leur sang, qui rejaillit, rougit leur main cruelle ;
Leur bouclier, leur casque, arrêtant leur effort,
Pare encor quelques coups, et repousse la mort.
Chacun d’eux, étonné de tant de résistance,
Respectait son rival, admirait sa vaillance.
Enfin le vieux d’Ailly, par un coup malheureux,
Fait tomber à ses pieds ce guerrier généreux.
Ses yeux sont pour jamais fermés à la lumière ;
Son casque auprès de lui roule sur la poussière.
D’Ailly voit son visage : ô désespoir ! ô cris !
Il le voit, il l’embrasse : hélas ! c’était son fils[3].
Le père infortuné, les yeux baignés de larmes,
Tournait contre son sein ses parricides armes ;
On l’arrête ; on s’oppose à sa juste fureur :
Il s’arrache, en tremblant, de ce lieu plein d’horreur ;
Il déteste à jamais sa coupable victoire ;
Il renonce à la cour, aux humains, à la gloire ;
Et, se fuyant lui-même, au milieu des déserts,
Il va cacher sa peine au bout de l’univers.
Là, soit que le soleil rendît le jour au monde,

  1. Racine a dit dans les Frères ennemis, acte V, scène iîi :
    Dans le sein l'un de l'autre ils cherchent un passage.
     
    Voltaire avait déjà imite ce vers; voyez les vers 251-252 du chant VI.
  2. On trouve dans l’Alaric de Scudéry :
    Sous les coups redoublés, les casques étincellent.
  3. Dans l’Idoménée de Crébillon, acte I, scène ii, on lit :
    J'en approche en tremblant ; hélas ! c'était mon fils.