Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/231

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Viens, Bourbon, criait-il, viens augmenter ta gloire,
Combattons ; c’est à nous de fixer la victoire.
Comme il disait ces mots, un lumineux éclair,
Messager des destins, fend les plaines de l’air :
L’arbitre des combats fait gronder son tonnerre ;
Le soldat sous ses pieds sentit trembler la terre.
D’Egmont croit que les cieux lui doivent leur appui,
Qu’ils défendent sa cause, et combattent pour lui ;
Que la nature entière, attentive à sa gloire,
Par la voix du tonnerre annonçait sa victoire.
D’Egmont joint le héros, il l’atteint vers le flanc ;
Il triomphait déjà d’avoir versé son sang.
Le roi, qu’il a blessé, voit son péril sans trouble[1] ;
Ainsi que le danger son audace redouble :
Son grand cœur s’applaudit d’avoir, au champ d’honneur,
Trouvé des ennemis dignes de sa valeur[2].
Loin de le retarder, sa blessure l’irrite ;
Sur ce fier ennemi Bourbon se précipite :
D’Egmont d’un coup plus sûr est renversé soudain ;
Le fer étincelant se plongea dans son sein.
Sous leurs pieds teints de sang les chevaux le foulèrent ;
Des ombres du trépas ses yeux s’enveloppèrent,

  1. Ce ne fut point à Ivry, ce fut au combat d'Aumale que Henri IV fut blessé ; il eut la bonté depuis de mettre dans ses gardes le soldat qui l'avait blessé.

    Le lecteur s'aperçoit bien sans doute que l'on n'a pu parler de tous les combats de Henri le Grand dans un poëme où il faut observer l'unité d'action. Ce prince fut blesse à Aumale; il sauva la vie au marccbal de Biron à Fontaine-Française. Ce sont là des événements qui méritent d'être mis en œuvre par le poëte ; mais il ne peut les placer dans les temps où ils sont arrivés; il faut qu'il rassemble autant qu'il peut ces actions séparées; qu'il les rapporte à la même époque; en un mot, qu'il compose un tout de diverses parties : sans cela il est absolument impossible de faire un poëme épique fondé sur une histoire.

    Henri IV ne fut donc point blessé à Ivry, mais il courut un grand risque de la vie; il fut même enveloppé de trois cornettes wallonnes, et y aurait péri s'il n'eût été dégagé par le maréchal d'Aumont et par le duc de La Trimouille. Les siens le crurent mort quelque temps, et jetèrent de grands cris de joie quand ils le virent revenir, l’épée à la main, tout couvert du sang des ennemis.

    Je remarquerai qu'après la blessure du roi à Aumale, Duplessis-Mornay lui écrivit : « Sire, vous avez assez fait l'Alexandre, il est temps que vous fassiez le César: c'est à nous à mourir pour Votre Majesté; et ce vous est gloire à vous, sire, de vivre pour nous; et j'ose vous dire que ce vous est devoir. (Note de Voltaire, 1723.)
  2. On a remarqué que c'était l'exclamation d'Alexandre après le passage de l'Hydaspe à la vue de Porus : « Tandem, par animo meo pcriculum video ; cum
    bestiis simul et cura egregiis viris res est. » (Quinte-Curce, livre VIII.)