Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/266

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Il veut parler : sa voix expire dans sa bouche[1].
L’horreur d’être vaincu rend son air plus farouche.
Il se lève, il retombe, il ouvre un œil mourant,
Il regarde Paris, et meurt en soupirant.
Tu le vis expirer, infortuné Mayenne ;
Tu le vis ; tu frémis ; et ta chute prochaine
Dans ce moment affreux s’offrit à tes esprits.
Cependant des soldats dans les murs de Paris
Rapportaient à pas lents le malheureux d’Aumale[2].
Ce spectacle sanglant, cette pompe fatale
Entre au milieu d’un peuple interdit, égaré :
Chacun voit, en tremblant, ce corps défiguré[3],
Ce front souillé de sang, cette bouche entr’ouverte,
Cette tête penchée, et de poudre couverte,
Ces yeux où le trépas étale ses horreurs.
On n’entend point de cris, on ne voit point de pleurs :
La honte, la pitié, l’abattement, la crainte,
Étouffent leurs sanglots, et retiennent leur plainte :
Tout se tait, et tout tremble. Un bruit rempli d’horreur
Bientôt de ce silence augmente la terreur.
Les cris des assiégeants jusqu’au ciel s’élevèrent ;
Les chefs et les soldats près du roi s’assemblèrent ;
Ils demandent l’assaut : mais l’auguste Louis,
Protecteur des Français, protecteur de son fils,
Modérait de Henri le courage terrible.
Ainsi des éléments le moteur invisible
Contient les aquilons suspendus dans les airs,
Et pose la barrière où se brisent les mers :

  1. J.-B. Rousseau, dans sa cantate X, a dit :
    Il veut parler, sa voix sur ses lèvres expire.

    C’est le Vox faucibus hœsit de Virgile.

  2. Le chevalier d’Aumale fut tué dans ce temps-là à Saint-Denis, et sa mort affaiblit beaucoup le parti de la Ligue. Son duel avec le vicomte de Turenne n’est qu’une fiction ; mais ces combats singuliers étaient encore à la mode. Il s’en fit un célèbre derrière les Chartreux, entre le sieur de Marivaux, qui tenait pour les royalistes, et le sieur Claude de Marolles, qui tenait pour les ligueurs. Ils se battirent en présence du peuple et de l’armée, le jour même de l’assassinat de Henri III ; mais ce fut de Marolles qui fut vainqueur. (Note de Voltaire, 1730.)
  3. Imitation du livre II de Télémaque : « Je me souviendrai toute ma vie d’avoir vu cette tête qui nageait dans le sang, les yeux fermés et éteints ; ce visage pâle et défiguré ; cette bouche entr’ouverte qui semblait vouloir achever encore des paroles commencées ; cet air superbe et menaçant que la mort même n’avait pu effacer. »