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ESSAI SUR LES GUERRES CIVILES

leurs d’autant de vertus que des temps si orageux et l’esprit de faction pouvaient le permettre.

Les protestants commençaient alors à devenir nombreux : ils s’aperçurent bientôt de leurs forces.

La superstition, les secrètes fourberies des moines de ce temps-là, le pouvoir immense de Rome, la passion des hommes pour la nouveauté, l’ambition de Luther et de Calvin, la politique de plusieurs princes, servirent à l’accroissement de cette secte, libre à la vérité de superstition, mais tendant aussi impétueusement à l’anarchie que la religion de Rome à la tyrannie.

Les protestants avaient essuyé en France les persécutions les plus violentes, dont l’effet ordinaire est de multiplier les prosélytes. Leur secte croissait au milieu des échafauds et des tortures. Condé, Coligny, les deux frères de Coligny, leurs partisans, et tous ceux qui étaient tyrannisés par les Guises, embrassèrent en même temps la religion protestante. Ils unirent avec tant de concert leurs plaintes, leur vengeance, et leurs intérêts, qu’il y eut en même temps une révolution dans la religion et dans l’État.

La première entreprise fut un complot pour arrêter les Guises à Amboise, et pour s’assurer de la personne du roi. Quoique ce complot eût été tramé avec hardiesse et conduit avec secret, il fut découvert au moment où il allait être mis en exécution. Les Guises punirent les conspirateurs de la manière la plus cruelle, pour intimider leurs ennemis, et les empêcher de former à l’avenir de pareils projets. Plus de sept cents protestants furent exécutés ; Condé fut fait prisonnier, et accusé de lèse-majesté ; on lui fit son procès, et il fut condamné à mort.

Pendant le cours de son procès, Antoine, roi de Navarre, son frère, leva en Guyenne, à la sollicitation de sa femme et de Coligny, un grand nombre de gentilshommes, tant protestants que catholiques, attachés à sa maison. Il traversa la Gascogne avec son armée ; mais, sur un simple message qu’il reçut de la cour en chemin, il les congédia tous en pleurant. « Il faut que j’obéisse, dit-il ; mais j’obtiendrai votre pardon du roi. — Allez, et demandez pardon pour vous-même, lui répondit un vieux capitaine ; notre sûreté est au bout de nos épées. » Là-dessus la noblesse qui le suivait s’en retourna avec mépris et indignation.

Antoine continua sa route, et arriva à la cour. Il y sollicita pour la vie de son frère, n’étant pas sûr de la sienne. Il allait tous les jours chez le duc et chez le cardinal de Guise, qui le recevaient assis et couverts, pendant qu’il était debout et nu-tête.

Tout était prêt alors pour la mort du prince de Condé, lorsque