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48 PREFACE DE M. DE MARMONTEL.

Connaissant les périls, ot ne redoutant rien ; Heureux guerrier i, grand jn-incc, et mauvais citoyen.

112 se présente aux Seize, et demande des fers, Du front dont il aurait condamné ces pervers.

11* marche en philosophe où l'honneur le conduit, Condamne les combats, plaint son maître, et le suit.

Mais, si IM. de A'oltaire annonce avec tant d'art ses personnages, il les soutient avec beaucoup de sagesse : et je ne crois pas que dans le cours de son poëme on trouve un seul vers où quelqu'un d'eux se démente. Lucain. au contraire, est plein d'inégalités; et, s'il atteint quelquefois la véritable grandeur, il donne souvent dans l'enilure. Enfin ce poëte latin, qui a porté à un si haut point la noblesse des sentiments, n'est plus le même lorsqu'il faut ou peindre ou décrire; et j'ose assurer qu'en cette partie notre langue n'a jamais été si loin que dans la Ilenriade.

Il v aurait donc plus de justesse à comparer laHenriade avec l'Enéide. On pourrait mettre dans la balance le plan, les mœurs, le merveilleux de ces deux poëmes ; les personnages, comme Henri IV et Énée, Achates et Mornay, Sinon et Clément, Turnus et d'Aumale, etc. ; les épisodes qui se répondent, comme le repas des Troyens sur la côte de Carthage, et celui de Henri chez le solitaire de Jersey; le massacre de la Saint-Barthélémy, et l'incendie de Troie; le quatrième chant de V Enéide, Qi le neuvième de la Henriade; la descente d'Énée aux enfers, et le songe de Henri IV; l'antre de la Sibylle, et le sacrifice des Seize; les guerres qu'ont à soutenir les deux héros, et l'intérêt qu'on prend à l'un et à l'autre ; la mort d'Euryale et celle du jeune d'Ailly; les combats singuliers de Turenne contre d'Aumale, et d'Énée contre Turnus; enfin le style des deux poètes, l'art avec lequel ils ont enchaîné les faits, et leur goût dans le choix des épisodes, leurs compa- raisons, leurs descriptions. Et après un tel examen, on pourrait décider d'après le sentiment.

Les bornes que je suis obligé de me prescrire dans cette Préface ne me permettent pas d'appuyer sur ce parallèle; mais je crois qu'il me suffit de l'indiquer à des lecteurs éclairés et sans prévention.

Les rapports vagues et généraux dont je viens de parler ont fait dire à quelques critiques que la Henriade Tnanquait du côté de l'invention : que ne fait-on le même reproche à Virgile, au Tasse, etc.? Dans V Enéide sont réunis le plan de V Odyssée et celui de l'Iliade; dans la Jérusalem délivrée, on trouve le plan de V Iliade exactement suivi, et orné de (juelques épisodes tirés de rÉnéide.

Avant Homère, Virgile, et le Tasse, on avait décrit des sièges, des incen- dies, des tempêtes; on avait peint toutes les passions; on connaissait les

1. Guise, chant III.

2. Harlay, chant IV.

3. Mornay, chant VI.

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