Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/363

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
345
LE TASSE.

Voici la traduction de Brébeuf : on sait qu’il était plus ampoulé encore que Lucain ; il gâte souvent son original en voulant le surpasser ; mais il y a toujours dans Brébeuf quelques vers heureux :


On voit auprès du camp une forêt sacrée,
Formidable aux humains, et des temps révérée,
Dont le feuillage sombre et les rameaux épais
Du dieu de la clarté font mourir tous les traits.
Sous la noire épaisseur des ormes et des hêtres,
Les faunes, les sylvains, et les nymphes champêtres,
Ne vont point accorder aux accents de la voix
Le son des chalumeaux ou celui des hautbois.
Cette ombre, destinée à de plus noirs offices,
Cache aux yeux du soleil ses cruels sacrifices ;
Et les vœux criminels qui s’offrent en ces lieux
Offensent la nature en révérant les dieux.
Là, du sang des humains on voit suer les marbres ;
On voit fumer la terre, on voit rougir les arbres :
Tout y parle d’horreur, et même les oiseaux
Ne se perchent jamais sur ces tristes rameaux.
Les sangliers, les lions, les bêtes les plus fières.
N’osent pas y chercher leur bauge ou leurs tanières.
La foudre, accoutumée à punir les forfaits,
Craint ce lieu si coupable, et n’y tombe jamais.
Là, de cent dieux divers les grossières images
Impriment l’épouvante, et forcent les hommages ;
La mousse et la pâleur de leurs membres hideux
Semblent mieux attirer les respects et les vœux :
Sous un air plus connu la Divinité peinte
Trouverait moins d’encens, et ferait moins de crainte,
Tant aux faibles mortels il est bon d’ignorer
Les dieux qu’il leur faut craindre et qu’il faut adorer !
Là, d’une obscure source il coule une onde obscure
Qui semble du Cocyte emprunter la teinture.
Souvent un bruit confus trouble ce noir séjour,
Et l’on entend mugir les roches d’alentour :
Souvent du triste éclat d’une flamme ensoufrée
La forêt est couverte, et n’est pas dévorée ;
Et l’on a vu cent fois les troncs entortillés
De cérastes hideux et de dragons ailés.
Les voisins de ce bois si sauvage et si sombre
Laissent à ses démons son horreur et son ombre ;
Et le druide craint, en abordant ces lieux,
D’y voir ce qu’il adore, et d’y trouver ses dieux.

    Il n’est rien de sacré pour des mains sacriléges ;