Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/404

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A son poste attaché, joint l’art à la valeur.
La mort sur les deux camps étend sa main cruelle :
Tous ses traits sont lancés, le sang coule autour d’elle ;
Chefs, officiers, soldats, l’un sur l’autre entassés.
Sous le fer expirants, par le plomb renversés.
Poussent les derniers cris en demandant vengeance.

Grammont, que signalait sa noble impatience,
Grammont dans l’Elysée emporte la douleur
D’ignorer en mourant si son maître est vainqueur :
De quoi lui serviront ces grands titres de gloire[1],
Ce sceptre des guerriers, honneurs de sa mémoire,
Ce rang, ces dignités, vanités des héros.
Que la mort avec eux précipite aux tombeaux ?
Tu meurs, jeune Craon[2] : que le ciel moins sévère
Veille sur les destins de ton généreux frère !
Hélas ! cher Longaunay[3] quelle main, quel secours
Peut arrêter ton sang et ranimer tes jours !
Ces ministres de Mars[4], qui d’un vol si rapide
S’élançaient à la voix de leur chef intrépide,
Sont du plomb qui les suit dans leur course arrêtés ;
Tels que des champs de l’air tombent précipités
Des oiseaux tout sanglants, palpitants sur la terre.
Le fer atteint d’Havré[5] ; le jeune d’Aubeterre[6]
Voit de sa légion tous les chefs indomptés
Sous le glaive et le feu mourants à ses côtés.

Guerriers que Chabrillant avec Brancas rallie,
Que d’Anglais immolés vont payer votre vie !
Je te rends grâce, ô Mars ! dieu de sang, dieu cruel,
La race de Colbert[7], ce ministre immortel,

  1. Il allait être maréchal de France. (Note de Voltaire.)
  2. Dix-neuf officiers du régiment de Hainaut ont été tués ou blessés. Son frère,
    le prince de Beauvau, servait en Italie. (Id.)
  3. M. de Longaunay, colonel dos nouveaux grenadiers, mort depuis de ses blessures. (Id.)
  4. Officiers de l’état-major, MM. de Puységur, de Mézières, de Saint-Sauveur,
    de Saint-George. (Id.)
  5. Le duc d’Havré, colonel du régiment de la Couronne. (Id.)
  6. M. le marquis d’Aubeterre, depuis ambassadeur à Rome. Il y fut chargé des
    négociations relatives à l’abolition de l’ordre des jésuites. Depuis il a été nommé
    commandant de Bretagne. La bonté de ses principes d’administration, son intégrité,
    son amour du bien, la douceur et la franchise de son caractère, lui ont mérité
    l’estime publique. (K. )
  7. M. de Groissy, avec ses deux enfants, et son neveu M. Duplessis-Chàtillon, blessés légèrement. (Note de Voltaire.)