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562 LE TH.MPLE DU GOUT.

T.o temple était environné d"une foule de virtuoses, d'artistes, et de juges de toute espèce, qui s'eiroiraient d'entrer, mais qui n'entraient point:

C;ir la (;rili(]UO, à l'œil sévère et juste, (îiinlant les clefs de cette porte auguste,* D'un bras d'aiiain fièrement repoussait Le peuple gotii qui sans cesse avançait.

Oli ! ([ue d'hommes considérables, que de gens du bel air, qui président si impérieusement à de petites sociétés, ne sont point reçus dans ce temple, malgré les dîners qu'ils donnent aux beaux esprits, et malgré les louanges qu'ils reçoivent dans les journaux !

On ne voit point dans ce pourpris

Les cabales toujours mutines

De ces prétendus beaux esprits

Qu'on vit soutenir dans Paris

Les Pradons et les Scudéris ^

Contre les immortels écrits

Des Corneilles et des Racines.

On repoussait aussi rudement ces ennemis obscurs de tout mérite éclatant, ces insectes de la société, qui ne sont aperçus que parce qu'ils piquent. Ils auraient envié également Rocroy au grand Condé, Denain à Villars, etPolyeucte à Corneille ; ils auraient exterminé Le Brun pour avoir fait le tableau de la famille de Darius. Ils ont forcé le célèbre Le Moine à se tuer pour avoir fait l'admirable salon d'Hercule. Ils ont toujours dans les mains la cigiie que leurs pareils firent boire à Socrate,

L'Orgueil les engendra dans les flancs de l'Envie. L'Intérêt, le Soupçon, l'infâme Calomnie, Et souvent les dévols, monstres plus Oflieux, Entr'ouvrent en secret d'un air mvstérieux

��i. Scudtiri était, comme de raison, ennemi déclare de Corneille. Il avait une cabale qui le mettait fort au-dessus de ce père du théâtre. Il y a encore un mau- vais ouvrage de Sarrasin fait pour prouver que je ne sais quelle pièce de Scudéri, nommée l'Amour tyrannique, était le chef-d'œuvre de la scène française. Ce Scu- déri se vantait qu'il y avait eu quatre portiers tués à une de ses pièces, et il disait qu'il ne céderait à Corneille qu'en cas qu'on eût tué cinq portiers au Cid et aux Horaces.

A l'égard de Pradon, on sait que sa Phèdre fut d'abord beaucoup mieux reçue que celle de Racine, et qu'il fallut du temps i)0ur faire céder la cabale au mérite. {Note de Voltaire, 1733.)

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