Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/583

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Car les jeunes zéphirs, de leurs chiiucles haleines,
Ont londu l’écorce des eaux ’. »

Plus il parlait ce langage, moins la porte s’ouvrait. « Quoi! l’on me prend donc, dit-M,

Pour une grenouille aquatique,
Qui du fond d’un petit thorax
Va chantant, pour toute musique,
Brekeke, kake, koax, koax, koax ?

— Ah, bon Dieu! s’écria la Critique, quel horrible jargon ! » Elle ne put d’abord reconnaître celui qui s’exprimait ainsi. On lui dit que c’était Rousseau, dont les muses avaient changé la voix, en punition de ses méchancetés : elle ne pouvait le croire, et refusait d’ouvrir.

Elle ouvrit pourtant en faveur de ses premiers vers; mais elle s’écria :

O vous, messieurs les beaux esprits,
Si vous voulez t^tre chéris
Du dieu de la double montagne,
Et que toujours dans vos écrits
Le dieu du goût vous accompagne,
Faites tous vos vers ii Paris,
Et n’allez point en Allemagne. »

Puis, me faisant approcher, elle me dit tout bas : « Tu le connais ; il fut ton ennemi, et tu lui rends justice ^

Tu vis sa muse indifférente,
Entre l’autel et le fagot,
Manier d’une main savante
De David la harpe imposante,
Et le flageolet de Marot.
Mais n’imite pas la faiblesse
Qu’il eut de rimer trop longtemps :
Les fruits des rives du Permesse
Ne croissent que dans le printemps,

1. Vers de Rousseau. (Note de Voltaire, 1739).) — Livre III, ode vu, strophe 1, (B.)

2. Vers de Rousseau. [Note de Voltaire, 1730.) — Dans la fable intitulée le Rossignol et la Grenouille. (B.)

3. Tout le monde no fut pas de l’avis de la Critique, et bien des gens trouvèrent au moins la «justice » rigoureuse. Brossette, à qui tous les livres nouveaux étaient dépêchés à mesure qu’ils paraissaient, écrit au président Bouhier: « Je parierais bien que Voltaire a entrepris principalement cette satire pour se venger de Rousseau, qui y est cruellement et, j’ose le dire, injustement traité. »