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VARIANTES DU TEMPLE DU GOUT. b93

Quelquefois même on laisse parler lon;,'temps la même personne, mais ce cas arrive très-rarement; heureusement pour moi on se rassemblait en ce moment autour de la fameuse Ninon de Lenclos.

Ninon, cet objet si vanté,

Qui si longtemps sut faire usage

De son esprit, de sa beauté,

Et du talent d'être volage,

Faisait alors, avec gaîté,

A ce charmant aréopage.

Un discours sur la volupté.

Dans cet art elle était maîtresse :

L'auditoire était enchanté,

Et tout respirait la tendi'esse.

Mes dcu\ guides, en vrrité,

Auraient volontiers écouté;

Mais, hélas! ils sont d'une espèce

Qui leur ùte la liberté.

Et les condamne à la sagesse.

Ils me laissèrent entendre le sermon de Ninon. Je courus ensuite vers la Lecouvreur, et mes conducteurs s'amusèrent à parler de littérature avec quelques jésuites qu'ils rencontrèrent. Un janséniste dira que les jésuites se fourrent partout; mais la vérité est que de tous les religieux les jésuites sont ceux qui entendent le mieux les belles-lettres, et qu'ils ont toujours réussi dans l'éloquence et dans la poésie. Le dieu voit de très-bon œil beaucoup de ces pères, mais à condition qu'ils ne diront plus tant de mal de Despréaux, et qu'ils avoueront que les Lettres provinciales sont la plus ingénieuse, aussi bien que la |)lus cruelle, et, en quelques endroits, la plus injuste satire qu'on ait jamais faite.

On se doute assez que les bienfaiteurs du temple y ont une place hono- rable : mais croirait-on que Colbert y est mieux traité que le cardinal de Richcliea? C'est que Colbert protégea tous les beaux-arts sans être jaloux des artistes, et qu'il ne favorisa que de grands hommes; car il se dégoûta bien vile de Chapelain, et encouragea Despréaux. Le cardinal de Richelieu, au contraire, fut jaloux du grand Corneille; et, au lieu de s'en tenir, comme il le devait, d protéger les beaux vers, il s'amusa à en faire de mauvais avec Chapelain, Desmarets, et Colletet ^ Je m'aperçus même que ce grand

1. Xon-seulement le cardinal de Richelieu fit quelqncfuis travailler Chapelain à des ouvrages de théâtre, mais il s'appropria un mauvais prologue de ce Chapelain; c'était lo prologue d'un très-ridicule poëiue dramatique intitulé les Tuileries. Ce cardinal fit bâtir la salle du Palais- Royal pour représenter la tragédie de Mirame, dont il avait donné lo sujet, et dans laquelle il avait fait plus de cinq ccuts vers. Il se servait do Desmarets, de Colletet, de Faret, pour composer des tragédies dont il leur donnait le plan. 11 admit quoique temps le grand Cor- neille dans cette troupe; mais le mérite de Corneille se trouva incompatible avec ces poètes, et il fut aussitôt exclu. Ce cardinal avait si peu de goût qu'il récompensa ces vers imperti- nents do Colletet :

La canne s'humecter de la bourbe de; l'eau,

D'une voi.v enrouée et d'uQ battement d'aile

Animer le canard qui languit auprès d'elle.

Il voulait seulement, pour rendre ces vers parfaits, qu'on mit barboter au lieu à'humccler. ?\'oU de Volluirc, n3.3.)

8. — Le Temple DU Go UT. 38

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