Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/88

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Trop faible, et malgré lui servant toujours la reine,
Traîna dans les affronts sa fortune incertaine ;
Et, toujours de sa main préparant ses malheurs,
Combattit et mourut pour ses persécuteurs.
Condé[1], qui vit en moi le seul fils de son frère,

    de tous les hommes, fut le plus faible et le moins décidé : il était huguenot, et sa femme, catholique. Ils changèrent tous deux de religion presque en même temps. Jeanne d'Albret fut depuis huguenote opiniâtre; mais Antoine chancela toujours dans sa catholicité, jusque-là même qu'on douta dans quelle religion il mourut. Il porta les armes contre les protestants, qu'il aimait, et servit Catherine de Médicis, qu'il détestait, et le parti des Guises, qui l'opprimait. Il songea à la régence après la mort de François II. La reine mère l'envoya chercher : « Je sais, lui dit-elle, que vous prétendez au gouvernement; je veux que vous me le cédiez tout à l'heure par un écrit de votre main, et que vous vous engagiez à me remettre la régence, si les états vous la défèrent. » Antoine de Bourbon donna l'écrit que la reine lui demandait, et signa ainsi son déshonneur. C'est à cette occasion que l'on fit ces vers, que j'ai lus dans les manuscrits de M. le premier président de Mesmes :

    Marc-Antoine, qui pouvoit être
    Le plus grand seigneur et le maître
    De son pays, s'oublia tant,
    Qu'il se contenta d'être Antoine,
    Servant lâchement une roine*.
    Le Navarrois en fait autant.
    Après la fameuse conjuration d'Amboise, un nombre infini de gentilshommes vinrent offrir leurs services et leurs vies à Antoine de Navarre ; il se mit à leur tête; mais il les congédia bientôt, en leur promettant de demander grâce pour eux. « Songez seulement à l'obtenir pour vous, lui répondit un vieux capitaine; la nôtre est au bout de nos épées. » Il mourut à quarante-quatre ans, au même âge que le duc de Guise, d'un coup d’arquebuse reçu dans l'épaule gauche au siège de Rouen, où il commandait. Sa mort arriva le 17 novembre 1562, le trente-cinquième jour de sa blessure. L'incertitude qu'il avait eue pendant sa vie le troubla dans ses derniers moments; et, quoiqu'il eût reçu les sacrements selon l'usage de l'Église romaine, on douta s'il ne mourut point protestant. Il avait reçu le coup mortel dans la tranchée, dans le temps qu'il pissait : aussi lui fit-on cette épitaphe :
    Ami François, le prince ici gisant
    Vécut sans gloire, et mourut en pissant.
    Il y en a une dans M. Le Laboureur qui ressemble à celle-là, et finit par le même hémistiche. M. Jurieu assure que lorsque Louis, prince de Condé, était en prison à Orléans, le roi de Navarre, son frère, allait solliciter le cardinal de Lorraine, et que celui-ci recevait, assis et couvert, le roi de Navarre, qui lui parlait debout et nu-tête; je ne sais où M. Jurieu a pu déterrer ce fait. (Note de Voltaire, 1723.) — Dans l'édition de 1730, cette note a été réduite à sept lignes. Voltaire, au commencement de son Essai sur les guerres civiles de France, qui est dans le présent volume, reparle du changement de religion du père et de la mère de Henri IV. (B.) *Cléopâtre. (1723.)

  1. Louis de Condé, frère d'Antoine, roi de Navarre, le septième et dernier des enfants de Charles de Bourbon, duc de Vendôme, fut un de ces hommes extraordinaires nés pour le malheur et pour la gloire de leur patrie. Il fut longtemps le chef des réformes, et mourut, comme l'on sait, à Jarnac. Il avait un bras en écharpe