Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/92

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L’ornait de dignités, le comblait de bienfaits,
Montrait à tous les miens, séduits par l’espérance,
Des faveurs de son fils la flatteuse apparence.
Hélas ! nous espérions en jouir plus longtemps.
« Quelques-uns soupçonnaient ces perfides présents[1],
Les dons d’un ennemi leur semblaient trop à craindre[2].
Plus ils se défiaient, plus le roi savait feindre :
Dans l’ombre du secret[3], depuis peu[4] Médicis
À la fourbe, au parjure, avait formé son fils,

  1. Racine a dit (Esther, acte III, scène i) :
    Les perfides bienfaits.
  2. On lit dans Virgile (Æn., II) :
    · · · · · · · · · · Aut ulla putatis
    Dona carere dolis Danaum? · · · · · · · · · ·
    Quidquid id est, timeo Danaos et dona ferentes.
  3. Dans Mithridate, acte IV, scène iv, on lit :
    Dans l'ombre du secret.
  4. On a prétendu que le projet du massacre des huguenots était formé depuis huit années; que le duc d'Albe en avait donné le conseil à Catherine de Médicis dans les conférences qu'il eut avec elle à Bordeaux.



    D'autres croient que le projet ne fut formé que dans le temps de la dernière paix avec les huguenots. M. de Voltaire était de cette opinion; autrement il n'aurait pas dit :
    Dans l'ombre du secret, depuis peu Médicis
    A la fourbe, au parjure, avait formé son fils.



    Quelques écrivains ont même avancé que Charles IX ne savait rien encore du projet lorsque l'amiral fut blessé ; qu'il était de bonne foi lorsqu'il jura de punir les assassins de l'amiral; qu'alors la reine lui avoua qu'elle était un des complices, le lit consentir en un instant à commettre le même crime dont il venait de jurer qu'il tirerait vengeance, et à faire égorger cent mille de ses sujets, à qui il venait de pardonner.



    D'autres enfin ont cru que le projet de la reine était de faire tuer l'amiral par des assassins aux gages du duc de Guise, de faire ensuite attaquer par les gardes le duc et ses satellites; qu'alors Charles IX, délivré à la fois des deux chefs de parti qu'il pouvait craindre, aurait, aux yeux de toute l'Europe, l'honneur d'avoir puni le crime du duc de Guise. L'habileté du Balafré fit manquer ce projet.



    Nous ne discuterons pas ici toutes ces opinions, dont les trois premières sont appuyées sur des probabilités assez fortes. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'on mit dans l'exécution du projet autant d'irrésolution que d'atrocité ; que les chefs n'étaient d'accord entre eux sur rien; que le duc de Guise voulait envelopper dans le massacre toutes les grandes familles fidèles au roi; qu'il multiplia les victimes; que lorsque Charles IX vint au parlement accuser avec tant de lâcheté l'amiral d'une prétendue conspiration, il était prêt, et peut-être avait déjà envoyé des contre-ordres dans les provinces; que les ordres n'émanaient point tous de lui; qu'enfin le fanatisme populaire, la barbarie de Charles IX, du duc d'Anjou, et de sa mère, ne furent en cette occasion que les instruments de projets dont eux-mêmes devaient être les victimes. (K.)