Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/113

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Je concluais l’exploit le plus galant
Que jamais moine ait fait hors du couvent.
Mon muletier, ah l’animal insigne !
Ah le grand homme ! ah quel rival condigne[1] !
Mon muletier, ferme dans son devoir,
D’Hermaphrodix avait passé l’espoir.
J’avais aussi pour ce monstre femelle,
Sans vanité, prodigué tout mon zèle ;
Le fils d’Alix, ravi d’un tel effort,
Nous laissait Jeanne en vertu de l’accord.
Jeanne la forte, et Jeanne la rebelle,
Perdait bientôt ce grand nom de Pucelle ;
Entre mes bras elle se débattait,
Le muletier par-dessous la tenait ;
Hermaphrodix de bon cœur ricanait.



" Mais croirez-vous ce que je vais vous dire ?
L’air s’entr’ouvrit, et du haut de l’empire
Qu’on nomme ciel (lieux où ni vous ni moi
N’irons jamais, et vous savez pourquoi),
Je vis descendre, ô fatale merveille !
Cet animal qui porte longue oreille,
Et qui jadis à Balaam parla,
Quand Balaam sur la montagne alla.
Quel terrible âne ! il portait une selle
D’un beau velours, et sur l’arçon d’icelle
Était un sabre à deux larges tranchants :
De chaque épaule il lui sortait une aile
Dont il volait, et devançait les vents.
A haute voix alors s’écria Jeanne :
" Dieu soit loué ! voici venir mon âne. "
A ce discours, je fus transi d’effroi ;
L’âne à l’instant ses quatre genoux plie,
Lève sa queue et sa tête polie,
Comme disant à Dunois : " Monte moi. "
Dunois le monte, et l’animal s’envole
Sur notre tête, et passe, et caracole.
Dunois, planant le cimeterre en main,
Sur moi chétif fondit d’un vol soudain.
Mon cher Satan, mon seigneur souverain,

  1. Condigne, du latin condignus ; ce mot se trouve dans les auteurs du saizième siècle. (Note de Voltaire, 1762.)