Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/124

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Mais il ne faut jamais jurer de rien.
Dans ce fracas, dans ce trouble effroyable,
D'un camp surpris tumulte inséparable,
Quand chacun court, officier et soldat,
Que l'un s'enfuit et que l'autre combat.
Que les valets, fripons suivant l'armée,
Pillent le camp, de peur des ennemis :
Parmi les cris, la poudre, et la fumée,
La belle Agnès se voyant sans habits,
Du grand Chandos entre en la garde-robe:
Puis avisant chemise, mules, robe,
Saisit le tout en tremblant et sans bruit ;
Même elle prend jusqu'au bonnet de nuit.
Tout vint à point : car de bonne fortune
Elle aperçut une jument bai-brune,
Bride à la bouche et selle sur le dos,
Que l'on devait amener à Chandos.
Un écuyer, vieil ivrogne intrépide.
Tout en dormant la tenait par la bride.
L'adroite Agnès s'en va subtilement
Oter la bride à l'écuyer dormant;
Puis se servant de certaine escabelle,
Y pose un pied, monte, se met en selle,
Pique et s'en va, croyant gagner les bois,
Pleine de crainte et de joie à la fois.
L'ami Bonneau court à pied dans la plaine,
En maudissant sa pesante bedaine,
Ce beau voyage, et la guerre, et la cour,
Et les Anglais, et Sorel, et l'amour.
Or de Chandos le très-fidèle page
(Monrose était le nom du personnage[1]),
Qui revenait ce matin d'un message.
Voyant de loin tout ce qui se passait,
Cette jument qui vers les bois courait,
Et de Chandos la robe et le bonnet.
Devinant mal ce que ce pouvait être,
Crut fermement que c'était son cher maître,
Qui loin du camp demi-nu s'enfuyait.
Épouvanté de l'étrange aventure,

  1. C'est le même page sur le derrière duquel Jeanne avait crayonné trois fleurs de lys. (Note de Voltaire, 1702.) — Voyez chant II, vers 312-335.