Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/125

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D’un coup de fouet il hâte sa monture,
Galope, et crie : " Ah, mon maître ! ah, seigneur !
Vous poursuit-on ? Charlot est-il vainqueur ?
Où courez-vous ? Je vais partout vous suivre :
Si vous mourez, je cesserai de vivre. "
Il dit, et vole, et le vent emportait
Lui, son cheval, et tout ce qu’il disait.



La belle Agnès, qui se croit poursuivie,
Court dans le bois, au péril de sa vie ;
Le page y vole, et plus elle s’enfuit,
Plus notre Anglais avec ardeur la suit.
La jument bronche, et la belle éperdue,
Jetant un cri dont retentit la nue,
Tombe à côté sur la terre étendue.
Le page arrive, aussi prompt que les vents ;
Mais il perdit l’usage de ses sens,
Quand cette robe ouverte et voltigeante
Lui découvrit une beauté touchante,
Un sein d’albâtre, et les charmants trésors
Dont la nature enrichissait son corps.



Bel Adonis[1], telle fut ta surprise,
Quand la maîtresse et de Mars et d’Anchise,
Du haut des cieux, le soir, au coin d’un bois,
S’offrit à toi pour la première fois.
Vénus sans doute avait plus de parure ;
Une jument n’avait point renversé
Son corps divin, de fatigue harassé ;
Bonnet de nuit n’était point sa coiffure ;
Son cul d’ivoire était sans meurtrissure :
Mais Adonis, à ces attraits tout nus,
Balancerait entre Agnès et Vénus.
Le jeune Anglais se sentit l’âme atteinte
D’un feu mêlé de respect et de crainte ;
Il prend Agnès, et l’embrasse en tremblant :
" Hélas ! dit-il, seriez-vous point blessée ? "
Agnès sur lui tourne un œil languissant,
Et d’une voix timide, embarrassée,
En soupirant elle lui parle ainsi :

  1. Adonis ou Adoni, fils de Cinyras ot de Myrrha, dieu des Phéniciens, amant de Vénus Astarté. Les Phéniciens pleuraient tous les ans sa mort, ensuite ils se réjouissaient de sa résurrection. (Note de Voltaire, 1762,)