Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/128

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Tout aumônier est plus hardi qu’un page :
Le scélérat, informé du voyage
Du beau Monrose et de la belle Agnès,
Et trop instruit que dans son voisinage
A quatre pas reposaient tant d’attraits,
Pressé soudain de son désir infâme,
Les yeux ardents, le sang rempli de flamme,
Le corps en rut, de luxure enivré,
Entre en jurant comme un désespéré,
Ferme la porte, et les deux rideaux tire.
Mais, cher lecteur, il convient de te dire
Ce que faisait en ce même moment
Le beau Dunois sur son âne volant.



Au haut des airs, où les Alpes chenues
Portent leur tête, et divisent les nues,
Vers ce rocher fendu par Annibal[1],
Fameux passage aux Romains si fatal,
Qui voit le ciel s’arrondir sur sa tête,
Et sous ses pieds se former la tempête,
Est un palais de marbre transparent,
Sans toit ni porte, ouvert à tout venant.
Tous les dedans sont des glaces fidèles ;
Si que chacun qui passe devant elles,
Ou belle ou laide, ou jeune homme ou barbon,
Peut se mirer tant qu’il lui semble bon.



Mille chemins mènent devers l’empire
De ces beaux lieux, où si bien l’on se mire ;
Mais ces chemins sont tous bien dangereux ;
Il faut franchir des abîmes affreux.
Tel, bien souvent, sur ce nouvel Olympe
Est arrivé sans trop savoir par où ;
Chacun y court ; et tandis que l’un grimpe,
Il en est cent qui se cassent le cou.



De ce palais la superbe maîtresse
Est cette vieille et bavarde déesse,
La Renommée, à qui dans tous les temps
Le plus modeste a donné quelque encens.
Le sage dit que son cœur la méprise ;
Qu’il hait l’éclat que lui donne un grand nom,

  1. On croit qu'Annibal passa par la Savoie : c'est donc chez les Savoyards qu'est le temple de la Renommée. (Note de Voltaire, 1762.)