Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/138

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Je le connais ; il est, ainsi que moi,
A ses amours fidèle comme au roi. "



L’autre reprit : " Ah ! monsieur, je vous croi.
O jour heureux où je le vis paraître,
Où des mortels il était à mes yeux
Le plus aimable et le plus vertueux,
Où de mon cœur il se rendit le maître !
Je l’adorais avant que ma raison
Eût pu savoir si je l’aimais ou non.



" Ce fut, monsieur, ô moment délectable !
Chez l’archevêque, où nous étions à table,
Que ce héros, plein de sa passion,
Me fit, me fit sa déclaration.
Ah ! j’en perdis la parole et la vue
Mon sang brûla d’une ardeur inconnue :
Du tendre amour j’ignorais le danger,
Et de plaisir je ne pouvais manger.
Le lendemain il me rendit visite :
Elle fut courte, il prit congé trop vite.
Quand il partit, mon cœur le rappelait ;
Mon tendre cœur après lui s’envolait.
Le lendemain, il eut un tête-à-tête
Un peu plus long, mais non pas moins honnête.
Le lendemain il en reçut le prix,
Par deux baisers sur mes lèvres ravis.
Le lendemain il osa davantage ;
Il me promit la foi de mariage.
Le lendemain il fut entreprenant ;
Le lendemain il me fit un enfant[1].
Que dis-je ? hélas ! faut-il que je raconte
De point en point mes malheurs et ma honte.
Sans que je sache, ô digne chevalier,
A quel héros j’ose me confier ? "



Le chevalier, par pure obéissance,
Dit, sans vanter ses faits ni sa naissance :
" Je suis Dunois. " C’était en dire assez.

  1. Dans le conte en vers intitulé la Bégueule, Voltaire, faisant allusion à cet endroit de son poëme, dit :

    Je me souviens du temps trop peu durable
    Où je chantais dans mon heureux printemps
    Des lendemains plus doux et plus plaisants. (R.)