Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/142

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Mais pour la perdre au milieu des tourments.
Vous les voyez, ces brasiers dévorants
C’est là qu’il faut expirer à vingt ans.
Voilà mon lit à mon heure dernière !
C’est-là, c’est-là, sans votre bras vengeur,
Qu’on m’arrachait la vie avec l’honneur !
Plus d’un guerrier aurait, selon l’usage,
Pris ma défense, et pour moi combattu ;
Mais l’archevêque enchaîne leur vertu :
Contre l’Église ils n’ont point de courage.
Qu’attendre, hélas ! d’un cœur italien ?
Ils tremblent tous à l’aspect d’une étole[1] ;
Mais un Français n’est alarmé de rien,
Et braverait le pape au Capitole. "



A ces propos, Dunois piqué d’honneur,
Plein de pitié pour la belle accusée,
Plein de courroux pour son persécuteur,
Brûlait déjà d’exercer sa valeur,
Et se flattait d’une victoire aisée.
Bien surpris fut de se voir entouré
De cent archers, dont la cohorte fière
L’investissait noblement par derrière.
Un cuistre en robe, avec bonnet carré,
Criait d’un ton de vrai _miserere_ :



" On fait savoir, de par la sainte Église,
Par monseigneur, pour la gloire de Dieu,
A tous chrétiens que le ciel favorise,
Que nous venons de condamner au feu
Cet étranger, ce champion profane,
De Dorothée infâme chevalier,
Comme infidèle, hérétique, et sorcier ;
Qu’il soit brûlé sur l’heure avec son âne. "



Cruel prélat, Busiris en soutane[2],
C’était, perfide, un tour de ton métier ;
Tu redoutais le bras de ce guerrier ;

  1. Étole, ornement sacerdotal qu'on passe par-dessus le surplis. Ce mot vient du grec στολὴ (stolê), qui signifie une robe longue. L'étole est aujourd'hui une bande large de quatre doigts. L'étole des anciens était fort différente; c'était quelquefois un habit de cérémonie que les rois donnaient à ceux qu'ils voulaient honorer; de là ces expressions de l'Écriture [Ecclesiaslic. xlv, 9] : « Stolam gloriæ induit
    eum, etc. » (Note de Voltaire, 1762.)
  2. Busiris était un roi d'Egypte qui passait pour un tyran. (Id., 1762.)