Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/166

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Au fond d’un creux du roc de Maximin[1].
Depuis ce temps un baume tout divin
Parfume l’air qu’en ces lieux on respire.
Plus d’une fille, et plus d’un pèlerin,
Grimpe au rocher, pour abjurer l’empire
Du dieu d’amour, qu’on nomme esprit malin.



On tient qu’un jour la pénitente juive,
Prête à mourir, requit une faveur
De Maximin, son pieux directeur.
" Obtenez-moi, si jamais il arrive
Que sur mon roc une paire d’amants
En rendez-vous viennent passer leur temps,
Leurs feux impurs dans tous les deux s’éteignent ;
Qu’au même instant ils s’évitent, se craignent,
Et qu’une forte et vive aversion
Soit de leurs cœurs la seule passion. "
Ainsi parla la sainte aventurière.
Son confesseur exauça sa prière.
Depuis ce temps, ces lieux sanctifiés
Vous font haïr les gens que vous aimiez.



Les paladins, ayant bien vu Marseilles,
Son port, sa rade, et toutes les merveilles
Dont les bourgeois rebattaient leurs oreilles,
Furent requis de visiter le roc,
Ce roc fameux, surnommé Sainte-Baume,
Tant célébré chez la gent porte-froc,
Et dont l’odeur parfumait le royaume.
Le beau Français y va par pitié,
Le fier Anglais par curiosité.
En gravissant ils virent près du dôme
Sur les degrés dans ce roc pratiqués,
Des voyageurs à prier appliqués.
Dans cette troupe étaient deux voyageuses
L’une à genoux, mains jointes, cou tendu ;
L’autre debout, et des plus dédaigneuses.



O doux objets ! moment inattendu !
Ils ont tous deux reconnu leurs maîtresses !
Les voilà donc, pécheurs et pécheresses
Dans ce parvis si funeste aux amours.

  1. Le rocher de Saint-Maximin est tout auprès; c'est le chemin de la Sainte-Baume. (Note de Voltaire, 1762.)