Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/173

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Les gens heureux qui goûtent dans les champs
La douce paix fruit des jours innocents,
Ont vu souvent, près de quelque bocage,
Un loup cruel, affamé de carnage,
Qui de ses dents déchire la toison
Et boit le sang d’un malheureux mouton.
Si quelque chien, à l’oreille écourtée,
Au cœur superbe, à la gueule endentée,
Vient comme un trait, tout prêt à guerroyer,
Incontinent l’animal carnassier
Laisse tomber de sa gueule écumante
Sur le gazon la victime innocente ;
Il court au chien, qui, sur lui s’élançant,
A l’ennemi livre un combat sanglant ;
Le loup mordu, tout bouillant de colère,
Croit étrangler son superbe adversaire ;
Et le mouton, palpitant auprès d’eux,
Fait pour le chien de très-sincères vœux.
C’était ainsi que l’aumônier nerveux,

D’un cœur farouche et d’un bras formidable,
Se débattait contre le page aimable ;
Tandis qu’Agnès, demi-morte de peur,
Restait au lit, digne prix du vainqueur.



L’hôte et l’hôtesse, et toute la famille,
Et les valets, et la petite fille,
Montent au bruit ; on se jette entre-deux :
On fit sortit l’aumônier scandaleux ;
Et contre lui chacun fut pour le page :
Jeunesse et grâce ont partout l’avantage.
Le beau Monrose eut donc la liberté
De rester seul auprès de sa beauté ;
Et son rival, hardi dans sa détresse,
Sans s’étonner alla chanter sa messe.



Agnès honteuse, Agnès au désespoir
Qu’un sacristain à ce point l’eût pollue,
Et plus encor qu’un beau page l’eût vue
Dans le combat indignement vaincue,
Versait des pleurs, et n’osait plus le voir.
Elle eût voulu que la mort la plus prompte
Fermât ses yeux et terminât sa honte ;
Elle disait, dans son grand désarroi,
Pour tout discours : " Ah ! monsieur, tuez-moi.