Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/200

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Mourut de faim, de peur de faire un choix.
N’imitez point cette philosophie ;
Daignez plutôt honorer tout d’un temps
De vos bontés vos deux jeunes amants,
Et gardez-vous de risquer votre vie.



A quelques pas de ce joli couvent,
Si pollué, si triste, et si sanglant,
Où le matin vingt nonnes affligées
Par l’amazone ont été trop vengées,
Près de la Loire était un vieux château
A pont-levis, mâchicoulis[1], tourelles ;
Un long canal transparent, à fleur d’eau,
En serpentant tournait auprès d’icelles,
Puis embrassait, en quatre cents jets d’arc,
Les murs épais qui défendaient le parc.
Un vieux baron, surnommé de Cutendre,
Était seigneur de cet heureux logis.
En sûreté chacun pouvait s’y rendre :
Le vieux seigneur, dont l’âme est bonne et tendre,
En avait fait l’asile du pays.
Français, Anglais, tous étaient ses amis ;
Tout voyageur en coche, en botte, en guêtre,
Ou prince, ou moine, ou nonne, ou turc, ou prêtre,
Y recevait un accueil gracieux :
Mais il fallait qu’on entrât deux à deux ;
Car tout baron a quelque fantaisie,
Et celui-ci pour jamais résolut
Qu’en son châtel en nombre pair on fût,
Jamais impair : telle était sa folie.
Quand deux à deux on abordait chez lui,
Tout allait bien : mais malheur à celui
Qui venait seul en ce logis se rendre !
Il soupait mal ; il lui fallait attendre
Qu’un compagnon formât ce nombre heureux,
Nombre parfait qui fait que deux font deux.



La fière Jeanne ayant repris ses armes,
Qui cliquetaient sur ses robustes charmes,
Devers la nuit y conduisit au frais,

  1. Mâchicoulis, ou Mâchecoulis; ce sont des ouvertures entre les créneaux, par lesquelles on peut tirer sur l’ennemi quand il est dans le fosse. (Note de Voltaire, 1762.)