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[42] DE L'ÉDITION DE IT-iO. 223

Et ce moment du ciel était prescrit

Pour que la sotte eut un jour de l'esprit. Plus d'un salant ne sur les bords de Loire,

Pour avoir vu Corisandrc une fois,

Avait perdu le sens et la nicmoiro.

L'un se croit cerf, et broute dans les bois :

L'autre imagine avoir un cul de verre;

Dès ([u'un passant le heurte en son chemin, '

Il va criant qu'on casse son derrière :

Bertaud se croit du sexe féminin,

Porte une jupe, et se meurt de tristesse

Qu'à la trousser nul amant ne s'empresse:

D'un large bat Mérardon s'est chargé;

Il se croit âne, et ne se trompe guère.

Veut qu'on le charge, et ne cosse de braire :

Culand i se croit en marmite change,

Marche à trois pieds ; une main pose à terre,

L'autre fait l'anse. Hélas! chacun de nous

Pourrait fort bien se mettre au rang dos fous

Sans avoir vu la belle Corisandre.

Quel bon esprit ne se laisse surprendre

A ses désirs? et qui n'a ses travers?

Chacun est fou, tant en prose qu'en vers. Or Corisandre avait une grand'mère,

Femme de bien, d'une humeur pou sévère, Dont en secret l'orgueil se complaisait A voir les fous que sa lille faisait. Mais de scrupule à la fin obsédée, Elle eut pitié d'un si triste fléau : Notre beauté, si fatale au cerveau, Fut dans sa chambre étroitement gardée; Ou lit poster, pour garder le château, Deux champions à la mine assurée, Qui défendaient l'accès de la maison A tout venant qui risquait sa raison. La belle sotte, ainsi claquemurée. Filait, cousait, et chantait sans penser, Sans nul regret qui vînt la traverser. Sans goût, sans soin et sans la moindre envie De s'appliquer à guérir la folie De ses amants; ce qui n'aurait tenu Qu'à dire oui si la belle eût voulu.

Le fier Chandos, encor tout en colère D'avoir manqué sa gentille adversaire, Vers ses Anglais retournait en grondant. Semblable au chien dont la vorace dent Saisit en vain le lièvre qui s'échaj)pe; Il tourne, il crie, il vire, il pleure, il jappe. Puis vers son maître approche à petits pas. Portant la queue et l'oreille fort bas.

1. Les premiers éditeurs n'avaient pas manqué de cha'ipcr ces noms, pour susciter des ennemis à M. de Voltaire. (K.) — Au heu do Bertaud, Mérardon, et Culand, on lisait Goyon, . Valori et Sablé. (R.)

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