Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/255

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Que négligeait le bon duc de Bedfort.
Ce fort touchait à la ville investie :
Dunois le prend, le roi s’y fortifie.
Des assiégeants c’étaient les magasins.
Le dieu sanglant qui donne la victoire,
Le dieu joufflu qui préside aux festins,
D’emplir ces lieux se disputaient la gloire,
L’un de canons, et l’autre de bons vins :
Tout l’appareil de la guerre effroyable,
Tous les apprêts des plaisirs de la table,
Se rencontraient dans ce petit château :
Quels vrais succès pour Dunois et Bonneau !



Tout Orléans à ces grandes nouvelles
Rendit à Dieu des grâces solennelles.
Un _Te Deum_ en faux-bourdon chanté[1]
Devant les chefs de la noble cité ;
Un long dîner où le juge et le maire,
Chanoine, évêque, et guerrier invité,
Le verre en main, tombèrent tous par terre ;
Un feu sur l’eau, dont les brillants éclairs
Dans la nuit sombre illuminent les airs,
Les cris du peuple, et le canon qui gronde,
Avec fracas annoncèrent au monde
Que le roi Charle, à ses sujets rendu
Va retrouver tout ce qu’il a perdu.



Ces chants de gloire et ces bruits d’allégresse
Furent suivis par des cris de détresse.
On n’entend plus que le nom de Betfort,
Alerte, aux murs, à la brèche, à la mort !
L’Anglais usait de ces moments propices
Où nos bourgeois, en vidant les flacons,
Louaient leur prince, et dansaient aux chansons.
Sous une porte on plaça deux saucisses,
Non de boudin, non telles que Bonneau
En inventa, pour un ragoût nouveau ;
Mais saucissons dont la poudre fatale,
Se dilatant, s’enflant avec éclair,
Renverse tout, confond la terre et l’air ;

  1. Le faux-bourdon est un plain-chant mesuré. Le serpent de la paroisse donne le ton, et toutes les parties s'accordent comme elles peuvent. C'est une musique excellente pour les gens qui n'ont point d'oreille. (Note de Voltaire, 1702.)