Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/301

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Lui répondit : " O monarque trop bon !
Je suis de Nante, et mon nom est Frélon[1].
J’aime Jésus d’un feu pur et sincère ;
Dans un couvent je fus quelque temps frère ;
J’en ai les mœurs ; et j’eus dans tous les temps
Un très-grand soin du salut des enfants.
A la vertu je consacrai ma vie.
Sous les charniers qu’on dit des Innocents,
Paris m’a vu travailler de génie ;
J’ai vendu cher mes feuilles à Lambert ;
Je suis connu dans la place Maubert ;
C’est là surtout qu’on m’a rendu justice.
Des indévots quelquefois par malice
M’ont reproché les faiblesses du froc,
Celles du monde et quelques tours d’escroc ;
Mais j’ai pour moi ma bonne conscience. "



Ce bon propos toucha le roi de France.
" Console-toi, dit-il, et ne crains rien.
Dis-moi, l’ami, si chaque camarade
Qui vers Marseille allait en ambassade
Ainsi que toi fut un homme de bien.
— Ah ! dit Frélon, sur ma foi de chrétien,
Je réponds d’eux ainsi que de moi-même :
Nous sommes tous en un moule jetés.
L’abbé Coyon[2], qui marche à mes côtés,

  1. Selon les chroniques de ce temps-là, il y avait un misérable de ce nom qui écrivait des feuilles sous les charniers Saints-Innocents. Il fit quelques tours de passe-passe pour lesquels il fut enfermé plusieurs fois au Châtelet, à Bicêtre, et au Fort-l'Évêque. Il avait été quelque temps moine, et s'était fait chasser du couvent; il réussit beaucoup dans le nouveau métier qu'il embrassa. Plusieurs célèbres écrivains lui ont rendu justice. Il était originaire de Nantes, et exerçait à Paris la profession de gazetier satirique. Jamais homme ne fut plus méprisé et plus détesté que lui, comme dit la Chronique de Froissard. (Note de Voltaire, 1773.) — La majeure partie de cette note est de 1764. Voltaire avait déjà, dans l'Écossaise, employé le nom de Frelon pour désigner l'auteur de l’Année littéraire. (R.)

    Jeannot l’hébété a désigné avec plus d'exactitude le lieu de la naissance de Fréron :
    C'est notre ami Fréron, de Quimper-Corentin.

    Le Père Nicodème et Jeannot, v. 40.
  2. Coyon ou Guyon, auteur du temps de Charles VII. Il composa une Histoire romaine, détestable à la vérité, mais qui était passable pour le temps. Il fit aussi l'Oracle des philosophes. C'est un tissu ridicule de calomnies. Aussi il s'en repentit sur la fin de sa vie, comme le dit Monstrelet. (Note de Voltaire, 1764.) — Dans l'édition de 1764, le nom de Guyon est travesti en celui de Guignon. En 1773,