Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/325

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Lui fit d’abord un compliment flatteur :
L’art de louer commença l’art de plaire.



" Où suis-je ? ô ciel ! s’écria Jeanne d’Arc :
Qu’ai-je entendu ? par Saint Luc ! par saint Marc !
Est-ce mon âne ? ô merveille ! ô prodige !
Mon âne parle, et même il parle bien ! "



L’âne à genoux, composant son maintien,
Lui dit : " O d’Arc ! ce n’est point un prestige ;
Voyez en moi l’âne de Canaan :
Je fus nourri chez le vieux Balaam ;
Chez les païens Balaam était prêtre,
Moi j’étais Juif ; et sans moi mon cher maître
Aurait maudit tout ce bon peuple élu,
Dont un grand mal fût sans doute advenu.
Adonaï récompensa mon zèle ;
Au vieil Énoc bientôt on me donna :
Énoc avait une vie immortelle ;
J’en eus autant ; et le maître ordonna
Que le ciseau de la Parque cruelle
Respecterait le fil de mes beaux ans.
Je jouis donc d’un éternel printemps.
De notre pré le maître débonnaire
Me permit tout, hors un cas seulement :
Il m’ordonna de vivre chastement.
C’est pour un âne une terrible affaire.
Jeune et sans frein dans ce charmant séjour,
Maître de tout, j’avais droit de tout faire,
Le jour, la nuit, tout, excepté l’amour.
J’obéis mieux que ce premier sot homme,
Qui perdit tout pour manger une pomme.
Je fus vainqueur de mon tempérament ;
La chair se tut ; je n’eus point de faiblesses ;
Je vécus vierge : or savez-vous comment ?
Dans le pays il n’était point d’ânesses.
Je vis couler, content de mon état,
Plus de mille ans dans ce doux célibat.



" Lorsque Bacchus vint du fond de la Grèce
Porter le thyrse, et la gloire, et l’ivresse,
Dans les pays par le Gange arrosés,
A ce héros je servis de trompette :
Les Indiens par nous civilisés
Chantent encor ma gloire et leur défaite.