Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/327

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Est de servir sous vos augustes lois.
Quand j’ai quitté le ciel et l’empyrée,
J’ai vu par vous ma fortune honorée.
Non, je n’ai pas abandonné les cieux,
J’y suis encor ; le ciel est dans vos yeux. "
A ce discours, peut-être téméraire,
Jeanne sentit une juste colère.
Aimer un âne, et lui donner sa fleur !
Souffrirait-elle un pareil déshonneur,
Après avoir sauvé son innocence
Des muletiers et des héros de France,
Après avoir, par la grâce d’en haut,
Dans le combat mis Chandos en défaut ?
Mais que cet âne, ô ciel ! a de mérite !



Ne vaut-il pas la chèvre favorite
D’un Calabrois, qui la pare de fleurs ?
" Non, disait-elle, écartons ces horreurs.
Tous ces pensers formaient une tempête
Au cœur de Jeanne, et confondaient sa tête,
Ainsi qu’on voit sur les profondes mers
Les fiers tyrans des ondes et des airs,
L’un accourant des cavernes australes,
L’autre sifflant des glaces boréales,
Battre un vaisseau cinglant sur l’Océan
Vers Sumatra, Bengale, ou Ceïlan :
Tantôt la nef aux cieux semble portée,
Près des rochers tantôt elle est jetée,
Tantôt l’abîme est prêt à l’engloutir,
Et des enfers elle paraît sortir.



L’enfant malin qui tient sous son empire
Le genre humain, les ânes, et les dieux,
Son arc en main, planait au haut des cieux,
Et voyait Jeanne avec un doux sourire.
De Jeanne d’Arc le grand cœur en secret
Était flatté de l’étonnant effet
Que produisait sa beauté singulière
Sur le sens lourd d’une âme si grossière.
Vers son amant elle avança la main,
Sans y songer ; puis la tira soudain.
Elle rougit, s’effraye, et se condamne ;
Puis se rassure, et puis lui dit : " Bel âne,
Vous concevez un chimérique espoir ;