Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/334

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Où le bâtard et la Pucelle altière,
L’ayant couvert d’un affront éternel,
De son palais ont forcé la barrière i,
Se gardait bien de donner des soupes
Aux chevaliers dans ses lacs attrapés,
Il les traitait avec rude manière,
Et les tenait dans le fond d’un caveau.
Son chancelier s’en vint, en long manteau,
Signifier à la troupe éplorée
De Conculix la volonté sacrée.
« Vous jeûnerez et vous boirez de l'eau,
Serez fessés une fois par semaine.
Jusqu’au moment où quelqu’une ou quelqu’un
En remplissant un devoir peu commun,
Pourra sauver votre demi-douzaine.
Tâchez d’aimer; il faut qu’un de vous six
Du fond du cœur brûle pour Conculix.
Il veut qu’on l’aime : il en vaut bien la peine.
Si nul de vous ne peut y réussir,
Soyez fessés, car tel est son plaisir. »
Il s’en retourne; après cette sentence,
Les prisonniers restent en conférence.
Mais qui voudra se dévouer pour tous?
Agnès disait : « Pourrais-je en conscience
Du dieu d’amour sentir ici les coups?
Le don d’aimer ne dépend pas de nous;
Et je serai fidèle an roi de France. »
Parlant ainsi, ses regards affligés
Lorgnent Monrose, et de pleurs sont chargés.
Monrose dit : « Pour moi, j"aime une belle
Que pour des dieux je ne saurais quitter.
Cent Conculix ne sauraient me tenter,
Et je voudrais être fessé pour elle.
— Je voudrais l’être aussi pour mon amant,
Dit Dorothée. Il n’est point de tourment
Que de l’amour le charme n’adoucisse :
Quand on est deux, est-il quelque supplice ? »
Son La Trimouille, à ce discours charmant,
Tombe à ses pieds, et s’abandonne en proie
A des douleurs qu’allège un peu de joie.
Le confesseur, ayant toussé deux fois.
Leur dit : c Messieurs, j’étais jeune autrefois :
Ce temps n’est plus, et les rides de l’âge
Ont sillonné la peau de mon visage :
Que puis-je? hélas! je suis, par mon emploi,
Dominicain et confesseur du roi :
Je ne saurais vous tirer d’esclavage. « 
Paul Tirconel, qu’anime un fier courage,
Se lève, et dit : « Eh bien ! ce sera moi. »
A ces trois mots, dits avec assurance,
Les prisonniers reprirent l’espérance.

1. Voyez chant IV.

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