Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/342

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Devint légère, et fut moins obscurcie ;
Il s’étonna de son discernement.
Las ! nous pensons, le bon Dieu sait comment !
Connaissons-nous quel ressort invisible
Rend la cervelle ou plus ou moins sensible ?
Connaissons-nous quels atomes divers
Font l’esprit juste ou l’esprit de travers,
Dans quels recoins du tissu cellulaire
Sont les talents de Virgile ou d’Homère,
Et quel levain, chargé d’un froid poison,
Forme un Thersite, un Zoïle, un Fréron ?
Un intendant de l’empire de Flore
Près d’un œillet voit la ciguë éclore ;
La cause en est au doigt du Créateur ;
Elle est cachée aux yeux de tout docteur
N’imitons pas leur babil inutile.



Lourdis d’abord devint très-curieux ;
Utilement ii employa ses yeux.
Il vit marcher sur le soir, vers la ville,
Des cuisiniers qui portaient à la file
Tous les apprêts pour un repas exquis ;
Truffes, jambons, gélinottes, perdrix ;
De gros flacons à panse ciselée
Rafraîchissaient, dans la glace pilée,
Ce jus brillant, ces liquides rubis
Que tient Cîteaux[1], dans ses caveaux bénis.
Vers la poterne on marchait en silence ;
Lourdis alors fut rempli de science,
Non de latin, mais de cet art heureux
De se conduire en ce monde scabreux.
Il fut doué d’une douce faconde,
Devint accort, attentif, avisé,
Regardant tout du coin d’un œil rusé,
Fin courtisan, plein d’astuce profonde,
Le moine, enfin, le plus moine du monde.
Ainsi l’on voit en tout temps ses pareils
De la cuisine entrer dans les conseils ;

  1. Il y a dans Cîteaux et dans Clairvaux une grosse tonne, semblable à celle de Heidelberg : c'est la plus belle relique du couvent. (Note de Voltaire, 1762.) — La tonne si célèbre que l'on voyait dans la ville de Heidelberg contenait huit cents muids. (R.)