Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/40

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Sont prodigués sur eux à pleines mains.
SoLe dîner vient ; la délicate chère,
L’oiseau du Phase et le coq de bruyère,
De vingt ragoûts l’apprêt délicieux,
Charment le nez, le palais, et les yeux.
Du vin d’Aï la mousse pétillante,
Et du Tokai la liqueur jaunissante,
En chatouillant les fibres des cerveaux,
Y porte un feu qui s’exhale en bons mots
Aussi brillants que la liqueur légère
Qui monte et saute, et mousse au bord du verre :
L’ami Bonneau d’un gros rire applaudit
À son bon roi, qui montre de l’esprit.
Le dîner fait, on digère, on raisonne,
On conte, on rit, on médit du prochain,
On fait brailler des vers à maître Alain[1],
On fait venir des docteurs de Sorbonne,
Des perroquets, un singe, un arlequin.
Le soleil baisse ; une troupe choisie
Avec le roi court à la comédie,
Et, sur la fin de ce fortuné jour,
Le couple heureux s’enivre encor d’amour.
LePlongés tous deux dans le sein des délices,
Ils paraissaient en goûter les prémices.
Toujours heureux et toujours plus ardents,
Point de soupçons, encor moins de querelles,
Nulle langueur ; et l’Amour et le Temps
Auprès d’Agnès ont oublié leurs ailes.
Charles souvent disait entre ses bras,
En lui donnant des baisers tout de flamme :
« Ma chère Agnès, idole de mon âme,
Le monde entier ne vaut point vos appas.
Vaincre et régner, ce n’est rien que folie.
Mon parlement[2] me bannit aujourd’hui ;

  1. Alain Chartier.
  2. Le parlement de Paris fit ajourner trois fois à son de trompe le roi, alors dauphin, à la table de marbre, sur les conclusions de l’avocat du roi, Marigny (voyez les Recherches de Pasquier). (Note de Voltaire, 1762.) — « Maistre Nicolas Roulin, advocat de la douairiere de Bourgongne, institue une accusation à huis-ouvert contre Charles de Valois ; et après luy, maistre Pierre de Marigny, advocat du roy, conclud à ce qu’il fust proclamé à trois briefs jours à la table de marbre du Palais, pour l’homicide par lui commis en la personne du duc Jean. Ce qui est