Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/44

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Louvet était un grand clerc ; mais, hélas !
Il ignorait son triste et piteux cas :
S’il le savait, sa gravité prudente
Procéderait contre sa présidente.
Le grand Talbot, le chef des assiégeants,
Brûle pour elle, et règne sur ses sens :
Louvet l’ignore ; et sa mâle éloquence
N’a pour objet que de venger la France.
Dans ce conseil de sages, de héros,
On entendait les plus nobles propos ;
Le bien public, la vertu les inspire :
Surtout l’adroit et l’éloquent La Hire
Parla longtemps, et pourtant parla bien ;
Ils disaient d’or, et ne concluaient rien.
JeComme ils parlaient, on vit par la fenêtre
Je ne sais quoi dans les airs apparaître.
Un beau fantôme au visage vermeil,
Sur un rayon détaché du soleil,
Des cieux ouverts fend la voûte profonde.
Odeur de saint se sentait à la ronde.
Le farfadet dessus son chef avait
À deux pendants une mitre pointue
D’or et d’argent, sur le sommet fendue ;
Sa dalmatique au gré des vents flottait,
Son front brillait d’une sainte auréole[1],
Son cou penché laissait voir son étole,
Sa main portait ce bâton pastoral
Qui fut jadis lituus augural[2].
À cet objet qu’on discernait fort mal,
Voilà d’abord monsieur de La Trimouille,
Paillard dévot, qui prie et s’agenouille.
Le Richemont, qui porte un cœur de fer,

  1. Auréole, c’est la couronne de rayons que les saints ont toujours sur la tête. Elle paraît imitée de la couronne de laurier dont les feuilles divergentes semblaient environner de rayons la tête des héros ; ce qui a fait tirer à quelques-uns l’étymologie d’auréole de laurum, laureola : d’autres la tirent d’aurum. Saint Bernard dit que cette couronne est d’or pour les vierges. « Coronam quam nostri majores aureolam vocant, idcirco nominatam… » — Cette note appartient, à la seconde phrase près, à l’édition de 1762, où elle s’appliquait au vers 307 du onzième chant. La rédaction actuelle a paru dans l’édition de Kehl : les éditeurs l’ont, avec raison, transposée à l’endroit du poëme où le mot auréole parait pour la première fois. (R.)
  2. Le bâton des augures ressemblait parfaitement à une crosse. (Note de Voltaire, 1762.)