Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/455

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[50]
445
PREMIÈRE PARTIE.

Leur redoutable voix partout se fait entendre.
   Pensez-vous en effet que ce jeune Alexandre,
Aussi vaillant que vous, mais bien moins modéré,
Teint du sang d’un ami trop inconsidéré,
Ait pour se repentir consulté des augures ?
Ils auraient dans leurs eaux lavé ses mains impures :
Ils auraient à prix d’or absous bientôt le roi.
Sans eux, de la nature il écouta la loi :
Houleux, désespéré d’un moment de furie,
Il se jugea lui-même indigne de la vie.
Cette loi souveraine, à la Chine, au Japon,
Inspira Zoroastre, illumina Solon.
D’un bout du monde à l’autre elle parle, elle crie :
« Adore un Dieu, sois juste, et chéris ta patrie. »
Ainsi le froid Lapon crut un Être éternel,
Il eut de la justice un instinct naturel ;
Et le Nègre, vendu sur un lointain rivage,
Dans les Nègres encore aima sa noire image.
Jamais un parricide, un calomniateur
N’a dit tranquillement dans le fond de son cœur :
« Qu’il est beau, qu’il est doux d’accabler l’innocence,
De déchirer le sein qui nous donna naissance !
Dieu juste, Dieu parfait, que le crime a d’appas ! »
Voilà ce qu’on dirait, mortels, n’en doutez pas,
S’il n’était une loi terrible universelle,
Que respecte le crime en s’élevant contre elle.
Est-ce nous qui créons ces profonds sentiments ?
Avons-nous fait notre âme ? avons-nous fait nos sens ?
L’or qui naît au Pérou, l’or qui naît à la Chine,
Ont la même nature et la même origine :
L’artisan les façonne, et ne peut les former.
Ainsi l’Être éternel qui nous daigne animer
Jeta dans tous les cœurs une même semence.
Le ciel fit la vertu ; l’homme en fit l’apparence.
Il peut la revêtir d’imposture et d’erreur,
Il ne peut la changer ; son juge est dans son cœur.