Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/86

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D’un coup nouveau les deux yeux elle crève
A Fonkinar, digne d’aller en Grève.
Cet impudent, né dans les durs climats
De l’Hibernie, au milieu des frimas,
Depuis trois ans faisait l’amour en France,
Comme un enfant de Rome ou de Florence.
Elle terrasse et milord Halifax,
Et son cousin l’impertinent Borax,
Et Midarblou qui renia son père,
Et Bartonay qui fit cocu son frère.
A son exemple on ne voit chevalier,
Il n’est gendarme, il n’est bon écuyer,
Qui dix Anglais n’enfile de sa lance.
La mort les suit, la terreur les devance :
On croyait voir en ce moment affreux
Un dieu puissant qui combat avec eux.



Parmi le bruit de l’horrible tempête,
Frère Lourdis criait à pleine tête :
" Elle est pucelle, Anglais, frémissez tous ;
C’est saint Denys qui l’arme contre vous ;
Elle est pucelle, elle a fait des miracles ;
Contre son bras vous n’avez point d’obstacles ;
Vite à genoux, excréments d’Albion,
Demandez-lui sa bénédiction. "
Le fier Talbot, écumant de colère,
Incontinent fait empoigner le frère ;
On vous le lie, et le moine content,
Sans s’émouvoir, continuait criant :
" Je suis martyr ; Anglais, il faut me croire ;
Elle est pucelle ; elle aura la victoire. "



L’homme est crédule, et dans son faible cœur
Tout est reçu ; c’est une molle argile.
Mais que surtout il paraît bien facile
De nous surprendre et de nous faire peur !
Du bon Lourdis le discours extatique
Fit plus d’effet sur le cœur des soldats
Que l’amazone et sa troupe héroïque
N’en avaient fait par l’effort de leurs bras.
Ce vieil instinct qui fait croire aux prodiges,
L’esprit d’erreur, le trouble, les vertiges,
La froide crainte et les illusions,
On fait tourner la tête des Bretons.