Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

De Malplaquet la campagne fatale[1],
Célères lieux, couverts de tant de morts
N’ont vu tenter de plus hardis efforts.
Vous eussiez vu les lances hérissées,
L’une sur l’autre en cent tronçons cassées ;
Les écuyers, les chevaux renversés,
Dessus leurs pieds dans l’instant redressés ;
Le feu jaillir des coups de cimeterre,
Et du soleil redoubler la lumière ;
De tous côtés voler, tomber à bas,
Épaules, nez, mentons, pieds, jambes, bras.



Du haut des cieux les anges de la guerre,
Le fier Michel, et l’exterminateur,
Et des Persans le grand flagellateur[2],
Avaient les yeux attachés sur la terre,
Et regardaient ce combat plein d’horreur.



Michel alors prit la vaste balance[3]
Où dans le ciel on pèse les humains ;
D’une main sûre il pesa les destins
Et les héros d’Angleterre et de France.

    révérends pères jésuites n‘ont—ils pas comparé saint Ignace à César, et saint François-Xavier à Alexandre? Ils leur ressemblaient comme les Vingt—quatre vieillards de Pascal ressemblent aux vingt-quatre vieillards de l'Apocalypse. On compare tous les jours le premier roi venu à César; pardonnons donc an grave chantre du notre héroïne d‘avoir comparé un petit choc de bibus aux batailles de Zama et de Pharsale. (Suite de la note de Voltaire, 1762.) — Voltaire s’est égayé aux dépens du P. Bouhours sur ses comparaisons d'Ignace et de François-Xavier à César et Alexandre dans le Catalogue des écrivains français qui précède le Siècle de Louis XIV. La comparaison des vingt-quatre jésuites aux vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse est due au révérend père Escobar, de la Société de Jésus. Voyez Pascal, Lettres provinciales, cinquième lettre, Du jeûne. (R.)

  1. Il y eut à cette bataille vingt-huit mille sept cents hommes couchés, non pas sur le carreau, comme le dit un historien, mais dans la boue et dans le sang; ils furent comptés par le marquis de Crèvecœur, aide de camp du maréchal de Villars, chargé de fnlre enterrer les morts. Voyez le Siècle de Louis XIV [chap. xxi.] année 1709. (Note de Voltaire, 1762.)
  2. Apparemment que notre profond auteur donne le nom de Persans aux soldats de Sennacherib, qui étaient Assyriens, parce que les Persans furent longtemps
    dominateurs en Assyrie; mais il est constant que l’ange du Seigneur tua tout seul cent quatre-vingt-cinq mille soldats de l'armée de Sennacherib, qui avait l’insolence de marcher contre Jérusalem; et quand Sennacherib vit tous ces corps morts, il s'en retourna. Ceci arriva l’an du monde 3293, comme on dit; cependant plusieurs doctes prétendent que cette aventure toute simple est de l'an 3295: nous la croyons de 3296, comme nous le prouverons ci—dessous. (Id., 1762.)
  3. Cet endroit parait imité d’Homère. Milton fait peser les destins des hommes dans le signe de la balance.(Id., 1762.) — Homère, Iliade, VIII, 69-72; Milton, Paradise last, IV, 996-1004.