De Malplaquet la campagne fatale[1],
Célères lieux, couverts de tant de morts
N’ont vu tenter de plus hardis efforts.
Vous eussiez vu les lances hérissées,
L’une sur l’autre en cent tronçons cassées ;
Les écuyers, les chevaux renversés,
Dessus leurs pieds dans l’instant redressés ;
Le feu jaillir des coups de cimeterre,
Et du soleil redoubler la lumière ;
De tous côtés voler, tomber à bas,
Épaules, nez, mentons, pieds, jambes, bras.
Du haut des cieux les anges de la guerre,
Le fier Michel, et l’exterminateur,
Et des Persans le grand flagellateur[2],
Avaient les yeux attachés sur la terre,
Et regardaient ce combat plein d’horreur.
Michel alors prit la vaste balance[3]
Où dans le ciel on pèse les humains ;
D’une main sûre il pesa les destins
Et les héros d’Angleterre et de France.
- ↑ Il y eut à cette bataille vingt-huit mille sept cents hommes couchés, non pas sur le carreau, comme le dit un historien, mais dans la boue et dans le sang; ils furent comptés par le marquis de Crèvecœur, aide de camp du maréchal de Villars, chargé de fnlre enterrer les morts. Voyez le Siècle de Louis XIV [chap. xxi.] année 1709. (Note de Voltaire, 1762.)
- ↑ Apparemment que notre profond auteur donne le nom de Persans aux soldats de Sennacherib, qui étaient Assyriens, parce que les Persans furent longtemps
dominateurs en Assyrie; mais il est constant que l’ange du Seigneur tua tout seul cent quatre-vingt-cinq mille soldats de l'armée de Sennacherib, qui avait l’insolence de marcher contre Jérusalem; et quand Sennacherib vit tous ces corps morts, il s'en retourna. Ceci arriva l’an du monde 3293, comme on dit; cependant plusieurs doctes prétendent que cette aventure toute simple est de l'an 3295: nous la croyons de 3296, comme nous le prouverons ci—dessous. (Id., 1762.) - ↑ Cet endroit parait imité d’Homère. Milton fait peser les destins des hommes dans le signe de la balance.(Id., 1762.) — Homère, Iliade, VIII, 69-72; Milton, Paradise last, IV, 996-1004.
révérends pères jésuites n‘ont—ils pas comparé saint Ignace à César, et saint François-Xavier à Alexandre? Ils leur ressemblaient comme les Vingt—quatre vieillards de Pascal ressemblent aux vingt-quatre vieillards de l'Apocalypse. On compare tous les jours le premier roi venu à César; pardonnons donc an grave chantre du notre héroïne d‘avoir comparé un petit choc de bibus aux batailles de Zama et de Pharsale. (Suite de la note de Voltaire, 1762.) — Voltaire s’est égayé aux dépens du P. Bouhours sur ses comparaisons d'Ignace et de François-Xavier à César et Alexandre dans le Catalogue des écrivains français qui précède le Siècle de Louis XIV. La comparaison des vingt-quatre jésuites aux vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse est due au révérend père Escobar, de la Société de Jésus. Voyez Pascal, Lettres provinciales, cinquième lettre, Du jeûne. (R.)