Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/90

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Nos chevaliers, pesés exactement,
Légers de poids par malheur se trouvèrent :
Du grand Talbot les destins l’emportèrent :
C’était du ciel un secret jugement.
Le Richemont se voit incontinent
Percé d’un trait de la hanche à la fesse ;
Le vieux Saintraille, au dessus du genou ;
Le beau La Hire, ah ! je n’ose dire où ;
Mais que je plains sa gentille maîtresse !
Dans un marais La Trimouille enfoncé
Ne put sortir qu’avec un bras cassé :
Donc à la ville il fallut qu’ils revinssent
Tout éclopés, et qu’au lit ils se tinssent.
Voilà comment ils furent bien punis,
Car ils s’étaient moqués de saint Denys.



Comme il lui plaît, Dieu fait justice ou grâce ;
Quesnel[1] l’a dit, nul ne peut en douter :
Or il lui plut le bâtard excepter
Des étourdis dont il punit l’audace.
Un chacun d’eux, laidement ajusté,
S’en retournait sur un brancard porté,
En maugréant et Jeanne et la fortune.
Dunois, n’ayant égratignure aucune,
Pousse aux Anglais, plus prompt que les éclairs :
Il fend leurs rangs, se fait jour à travers,
Passe, et se trouve aux lieux où la Pucelle
Fait tout tomber, où tout fuit devant elle.
Quand deux torrents, l’effroi des laboureurs,
Précipités du sommet des montagnes,
Mêlent leurs flots, assemblent leurs fureurs,
Ils vont noyer l’espoir de nos campagnes :
Plus dangereux étaient Jeanne et Dunois,
Unis ensemble, et frappant à la fois.



Dans leur ardeur si bien ils s’emportèrent,
Si rudement les Anglais ils chassèrent,
Que de leurs gens bientôt ils s’écartèrent.
La nuit survint ; Jeanne et l’autre héros,
N’entendant plus ni Français ni Chandos,
Font tous deux halte en criant : " Vive France ! "

  1. Allusion aux sentiments répandus dans les livres de Quesnel, prêtre de l’Oratoire. (Note de Voltaire, 1762.)