Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/96

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De son seigneur en secret fait la joie :
Ainsi soupa madame Hermaphrodix
Avec Dunois, juste entre neuf et dix.



Madame avait prodigué la parure :
Les diamants surchargeaient sa coiffure ;
Son gros cou jaune, et ses deux bras carrés,
Sont de rubis, de perles entourés ;
Elle en était encor plus effroyable.
Elle le presse au sortir de la table :
Dunois trembla pour la première fois.
Des chevaliers c’était le plus courtois :
Il eût voulu de quelque politesse
Payer au moins les soins de son hôtesse ;
Et du tendron contemplant la laideur,
Il se disait : " J’en aurai plus d’honneur[1]. "
Il n’en eut point : le plus brillant courage
Peut quelquefois essuyer cet outrage.
Hermaphrodix, en son affliction,
Eut pour Dunois quelque compassion ;
Car en secret son âme était flattée
De grands efforts du triste champion.
Sa probité, sa bonne intention
Fut cette fois pour le fait réputée.
" Demain, dit-elle, on pourra vous offrir
Votre revanche. Allez, faites en sorte
Que votre amour sur vos respects l’emporte,
Et soyez prêt, seigneur, à mieux servir. "



Déjà du jour la belle avant-courrière
De l’orient entr’ouvrait la barrière :
Or vous savez que cet instant préfix
En cavalier changeait Hermaphrodix.
Alors brûlant d’une flamme nouvelle

  1. La position critique du brave Dunois et son intention de sortir avec honneur de ce pas difficile, rappellent, ainsi que l’a remarqué M. Louis du Bois, un tableau du même genre tracé par la même main. Dans le conte, intitulé Ce qui plaît aux dames, Robert, sommé par la vieille fée dont il est devenu l‘époux de remplir le devoir conjugal, s’y résout enf‍in par point d‘honneur :

    Le chevalier, amoureux de la gloire,
    Voulut enfin tenter celle victoire;
    Il obéit, et, se piquant d'honneur,
    N'écoutant plus que sa rare valeur,
    Aidé du ciel, trouvant dans sa jeunesse
    Ce qui tient lieu de beauté, de tendresse,
    Fermant les yeux se mit à son devoir. (R.)