Page:Voltaire - Dictionnaire philosophique portatif, 6e édition, tome 1.djvu/215

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nature, il l’a suivi. Il est clair que ta tante ne pouvait pas s’empêcher de naître dans une telle ville, qu’elle ne pouvait pas s’empêcher d’avoir dans un tel temps une certaine maladie, que le médecin ne pouvait pas être ailleurs que dans la ville où il était, que ta tante devait l’appeler, qu’il devait lui prescrire les drogues qui l’ont guérie.

Un paysan croit qu’il a grêlé par hasard sur son champ, mais le philosophe sait qu’il n’y a point de hasard, & qu’il était impossible, dans la constitution de ce monde, qu’il ne grêlât pas ce jour-là en cet endroit.

Il y a des gens qui étant effrayés de cette vérité en accordent la moitié, comme des débiteurs qui offrent moitié à leurs créanciers, & demandent répit pour le reste. Il y a, disent-ils, des événements nécessaires, & d’autres qui ne le sont pas ; il serait plaisant qu’une partie de ce monde fût arrangée, & que l’autre ne le fût point ; qu’une partie de ce qui arrive dût arriver, & qu’une autre partie de ce qui arrive ne dût pas arriver. Quand on y regarde de près, on voit que la doctrine contraire à celle du destin est absurde & contraire à l’idée d’une Providence éternelle ; mais il y a beaucoup de gens destinés à raisonner mal, d’autres à ne point raisonner du tout, d’autres à persécuter ceux qui raisonnent.

Il y a des gens qui vous disent, Ne croyez pas au fatalisme, car alors tout vous paraissant inévitable vous ne travaillerez à rien, vous croupirez dans l’indifférence, vous n’aimerez ni les richesses ni les honneurs, ni les louanges ; vous ne voudrez rien acquérir, vous vous croirez sans mérite comme sans pouvoir ; aucun talent ne sera cultivé, tout périra par l’apathie.

Ne craignez rien, messieurs, nous aurons toujours des passions & des préjugés, puisque c’est notre destinée d’être soumis aux préjugés & aux passions : nous saurons bien qu’il ne dépend pas plus de nous d’avoir beaucoup de mérite & de grands talents, que d’avoir les cheveux bien plantés & la main belle : nous serons convaincus qu’il ne faut tirer vanité de rien, & cependant nous aurons toujours de la vanité.

J’ai nécessairement la passion d’écrire ceci, & toi tu as la passion de me condamner ; nous sommes tous deux également sots, également les jouets de la destinée. Ta nature est de faire du mal, la mienne est d’aimer la vérité, & de la publier malgré toi.

Le hibou qui se nourrit de souris dans sa masure, a dit au rossignol, Cesse de chanter sous tes beaux ombrages, viens dans mon trou, afin que je t’y dévore ; & le rossignol a répondu, Je suis né pour chanter ici, & pour me moquer de toi.

Vous me demandez ce que deviendra la liberté ? Je ne vous entends pas. Je ne sais ce que c’est que cette liberté dont vous parlez ; il y