Page:Voltaire - Dictionnaire philosophique portatif, 6e édition, tome 1.djvu/234

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

émotion, trouble, saisissement, passion, emportement, démence, fureur, rage. Voilà tous les états par lesquels peut passer cette pauvre ame humaine.

Un géomètre assiste à une tragédie touchante, il remarque seulement qu’elle est bien conduite. Un jeune homme à côté de lui est ému & ne remarque rien, une femme pleure, un autre jeune homme est si transporté, que pour son malheur il va faire aussi une tragédie. Il a pris la maladie de l’enthousiasme.

Le centurion ou le tribun militaire qui ne regardait la guerre que comme un métier dans lequel il y avait une petite fortune à faire, allait au combat tranquillement comme un couvreur monte sur un toit. César pleurait en voyant la statue d’Alexandre.

Ovide ne parlait d’amour qu’avec esprit. Sapho exprimait l’enthousiasme de cette passion ; & s’il est vrai qu’elle lui coûta la vie, c’est que l’enthousiasme chez elle devint démence. L’esprit de parti dispose merveilleusement à l’enthousiasme, il n’est point de faction qui n’ait ses énergumènes.

L’enthousiasme est surtout le partage de la dévotion mal entendue. Le jeune faquir qui voit le bout de son nez en faisant ses prières, s’échauffe par degrés jusqu’à croire que s’il se charge de chaînes pesant cinquante livres, l’Être suprême lui aura beaucoup d’obligation. Il s’endort l’imagination toute pleine de Brama, & il ne manque pas de le voir en songe quelquefois même dans cet