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Caractère.

rabbia papale : cette rage l’emporte sur son naturel ; il ensevelit dans l’obscurité sa personne & son caractère ; il contrefait l’humble & le moribond ; on l’élit pape, ce moment rend au ressort, que la politique avait plié, toute son élasticité longtems retenue ; il est le plus fier & le plus despotique des souverains.

Naturam expellas furca, tamen ipsa redibit.

La religion, la morale, mettent un frein à la force du naturel, elles ne peuvent le détruire. L’yvrogne dans un cloître, réduit à un demi-septier de cidre à chaque repas, ne s’enivrera plus, mais il aimera toûjours le vin.

L’âge affaiblit le caractère, c’est un arbre qui ne produit plus que quelques fruits dégénérés, mais ils sont toûjours de même nature ; il se couvre de nœuds & de mousse, il devient vermoulu, mais il est toûjours chêne ou poirier. Si on pouvait changer son caractère, on s’en donnerait un, on serait le maître de la nature. Peut-on se donner quelque chose ? ne recevons-nous pas tout ? Essayez d’animer l’indolent d’une activité suivie, de glacer par l’apathie, l’ame bouillante de l’impétueux, d’inspirer du goût pour la musique & pour la poésie à celui qui manque de goût & d’oreilles ; vous n’y parviendrez pas plus que si vous entrepreniez de donner la vue à un aveugle né. Nous perfectionnons, nous adoucissons, nous cachons ce que la nature a mis dans nous, mais nous n’y mettons rien.