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DIEU, DIEUX

rait prévenu que dix assassinats, dix calomnies, dix jugements iniques sur la terre, je tiens que la terre entière doit l’embrasser.

La religion, dites-vous, a produit des milliasses de forfaits ; dites la superstition, qui règne sur notre triste globe : elle est la plus cruelle ennemie de l’adoration pure qu’on doit à l’Être suprême. Détestons ce monstre qui a toujours déchiré le sein de sa mère : ceux qui le combattent sont les bienfaiteurs du genre humain ; c’est un serpent qui entoure la religion de ses replis : il faut lui écraser la tête sans blesser celle qu’il infecte et qu’il dévore.

Vous craignez « qu’en adorant Dieu on ne redevienne bientôt superstitieux et fanatique » ; mais n’est-il pas à craindre qu’en le niant on ne s’abandonne aux passions les plus atroces et aux crimes les plus affreux ? Entre ces deux excès, n’y a-t-il pas un milieu très-raisonnable ? Où est l’asile entre ces deux écueils ? le voici : Dieu, et des lois sages.

Vous affirmez qu’il n’y a qu’un pas de l’adoration à la superstition. Il y a l’infini pour les esprits bien faits : et ils sont aujourd’hui en grand nombre ; ils sont à la tête des nations, ils influent sur les mœurs publiques ; et d’année en année le fanatisme, qui couvrait la terre, se voit enlever ses détestables usurpations.

Je répondrai encore un mot à vos paroles de la page 223. « Si l’on présume des rapports entre l’homme et cet être incroyable, il faudra lui élever des autels, lui faire des présents, etc ; si l’on ne conçoit rien à cet être, il faudra s’en rapporter à des prêtres qui... etc., etc., etc. » Le grand mal de s’assembler aux temps des moissons pour remercier Dieu du pain qu’il nous a donné ! Qui vous dit de faire des présents à Dieu ? l’idée en est ridicule ; mais où est le mal de charger un citoyen, qu’on appellera vieillard ou prêtre, de rendre des actions de grâces à la Divinité au nom des autres citoyens, pourvu que ce prêtre ne soit pas un Grégoire VII qui marche sur la tête des rois, ou un Alexandre VI, souillant par un inceste le sein de sa fille, qu’il a engendrée par un stupre, et assassinant, empoisonnant, à l’aide de son bâtard, presque tous les princes ses voisins ; pourvu que dans une paroisse ce prêtre ne soit pas un fripon volant dans la poche des pénitents qu’il confesse[1] et employant cet argent à séduire les petites filles qu’il

  1. Il s’agit

    du bon curé Fantin,

    Qui prêchant, confessant les dames de Versailles,
    Caressait tour à tour et volait ses ouailles.

    Voyez la satire intitulée le Père Nicodème et Jeannot. Voyez aussi une des notes du Russe à Paris, et le chant XVIII de la Pucelle. Voltaire en parle encore dans sa Lettre de milord Cornsbury, à la suite de l’Examen important de milord Bolingbroke (Mélanges, année 1767).