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DES MŒURS DES JUIFS.


Quelqu’un a dit[1] que le premier devin, le premier prophète fut le premier fripon qui rencontra un imbécile ; ainsi la prophétie est de l’antiquité la plus haute. Mais à la fraude ajoutons encore le fanatisme ; ces deux monstres habitent aisément ensemble dans les cervelles humaines. Nous avons vu arriver à Londres par troupes, du fond du Languedoc et du Vivarais, des prophètes, tout semblables à ceux des Juifs, joindre le plus horrible enthousiasme aux plus dégoûtants mensonges. Nous avons vu Jurieu prophétiser en Hollande. Il y eut de tout temps de tels imposteurs, et non-seulement des misérables qui faisaient des prédictions, mais d’autres misérables qui supposaient des prophéties faites par d’anciens personnages.

Le monde a été plein de sibylles et de Nostradamus. L’Alcoran compte deux cent vingt-quatre mille prophètes. L’évêque Épiphane, dans ses notes sur le canon prétendu des apôtres, compte soixante et treize prophètes juifs et dix prophétesses. Le métier de prophète chez les Juifs n’était ni une dignité, ni un grade, ni une profession dans l’État ; on n’était point reçu prophète comme on est reçu docteur à Oxford ou à Cambridge : prophétisait qui voulait ; il suffisait d’avoir, ou de croire avoir, ou de feindre d’avoir la vocation et l’esprit de Dieu. On annonçait l’avenir en dansant et en jouant du psaltérion. Saül, tout réprouvé qu’il était, s’avisa d’être prophète. Chaque parti dans les guerres civiles avait ses prophètes, comme nous avons nos écrivains de Grub-street[2]. Les deux partis se traitaient réciproquement de fous, de visionnaires, de menteurs, de fripons, et en cela seul ils disaient la vérité. Scitote Israel stultum prophetam, insanum virum spiritualem[3], dit Osée, selon la Vulgate.

Les prophètes de Jérusalem sont des extravagants, des hommes sans foi, dit Sophoniah, prophète de Jérusalem[4]. Ils sont tous comme notre apothicaire Moore, qui met dans nos gazettes : Prenez de mes pilules, gardez-vous des contrefaites.

Le prophète Michée prédisant des malheurs aux rois de Samarie et de Juda, le prophète Sédékias lui applique un énorme soufflet, en lui disant : Comment l’esprit de Dieu est-il passé par moi pour aller à toi[5].

  1. Voltaire lui-même ; voyez tome XI, page 88.
  2. Grub-street est la rue où l’on imprime la plupart des mauvais pamphlets qu’on fait journellement à Londres. (Note de Voltaire, 1767.)
  3. Osée, chapitre IX, v. 7. (Id.)
  4. Soph., chapitre iii, 4. (Id.)
  5. II. Paralip., xviii, 23. (Id.)