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dialogues philosophiques

vez pas encore la foi ; mais quand vous aurez été baptisé, vous serez enchanté d’être pendu pour l’amour de Jésus-Christ notre sauveur. Quel plaisir vous auriez de le voir à la messe, de lui parler, de le manger !


L’EMPEREUR. — Comment, mort de ma vie ! vous mangez votre dieu, vous autres ?


FRÈRE RIGOLET. — Oui, sire, je le fais et je le mange ; j’en ai préparé ce matin quatre douzaines ; et je vais vous les chercher tout à l’heure, si votre sacrée majesté l’ordonne.


L’EMPEREUR. — Tu me feras grand plaisir, mon ami. Va-t-en vite chercher tes dieux. Je vais en attendant faire ordonner à mes cuisiniers de se tenir prêts pour les faire cuire ; tu leur diras à quelle sauce il faut les mettre : je m’imagine qu’un plat de dieux est une chose excellente, et que je n’aurais jamais fait meilleure chère.


FRÈRE RIGOLET. — Sacrée majesté, j’obéis à vos ordres suprêmes, et je reviens dans le moment. Dieu soit béni ! voilà un empereur dont je vais faire un chrétien, sur ma parole.


Pendant que frère Rigolet allait chercher son déjeuner, l’empereur resta avec son secrétaire d’État Ouang-Tsé : tous deux étaient saisis de la plus grande surprise et de la plus vive indignation.