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SAINT JEAN L’AUMÔNIER

cette couverture. Et il se disait en pleurant : « Combien d’hommes se sont couchés cette nuit sans avoir dîné, combien d’hommes sont exposés à la pluie, sur les places, et claquent des dents, au froid de la nuit ! Et toi, après avoir mangé d’excellents poissons, tu t’es couché avec tous tes péchés dans un lit, sous une couverture qui vaut trente-six deniers ! Non, non, le misérable Jean ne se couvrira plus de cette façon-là ! » Et, dès que le jour parut, le saint fit vendre la couverture, et en donna le prix aux pauvres. Et le riche, à cette nouvelle, acheta une seconde couverture et la donna au saint, le priant, cette fois, de la garder pour lui. Le saint prit la couverture, mais aussitôt la fit vendre, et en fit distribuer le prix aux pauvres. Le riche la racheta, la rapporta au saint et lui dit : « Nous verrons qui se fatiguera le premier, toi de revendre ou moi de racheter ! » Et le saint se complaisait à vendanger ainsi le riche, disant que ce n’était point pécher, mais bien agir, de dépouiller des riches avec l’intention de donner aux pauvres.

VIII. Voulant engager les fidèles à l’aumône, saint Jean leur racontait souvent l’histoire de saint Sérapion. Celui-ci, ayant donné son manteau à un pauvre, rencontra un autre pauvre, qui souffrait du froid. Il lui donna alors sa tunique, et resta tout nu, tenant en main l’Évangile. Alors un passant lui demanda : « Abbé, qui t’a dépouillé ? » Et l’abbé, montrant l’Évangile, répondit : « Voici celui qui m’a dépouillé ! » Mais, voyant ensuite un autre pauvre, il alla vendre son Évangile pour lui en donner le prix. Et comme on lui demandait ce qu’il avait fait de son Évangile, il répondit : « Cet Évangile me disait : vends ce que tu possèdes et donnes-en le prix aux pauvres ! Or je n’avais que lui ! Pour lui obéir, je l’ai vendu ! »

IX. Un mendiant à qui saint Jean avait fait donner cinq deniers, se fâcha de n’avoir pas reçu davantage, et se mit à insulter publiquement le patriarche. Les serviteurs de celui-ci voulaient le chasser ; mais saint Jean le leur défendit en disant : « Laissez-le, frères, laissez-le me maudire ! J’ai pu, moi ; pendant soixante ans, insulter le Christ par mes péchés : de quel droit m’opposerais-je à