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SAINT JULIEN

demeure de Julien. Mais celui-ci, par hasard, n’était pas au château, et ce fut sa femme qui reçut les deux voyageurs. Et quand ils lui eurent raconté toute leur histoire, elle comprit qu’ils étaient les parents de son mari : car celui-ci, sans doute, lui avait souvent parlé d’eux. Aussi leur fit-elle l’accueil le plus tendre, par amour pour son mari ; et elle les fit coucher dans son propre lit. Le lendemain matin, pendant qu’elle était à l’église, voici que Julien rentra. Il s’approcha du lit pour réveiller sa femme ; et, voyant deux personnes qui dormaient sous les draps, il crut que c’était sa femme avec un amant. Sans rien dire, il tira son épée et tua les deux dormeurs. Puis, sortant de la maison, il rencontra sa femme qui revenait de l’église, et il lui demanda, stupéfait, qui étaient les deux personnes qui dormaient dans son lit. Et sa femme lui répondit : « Ce sont tes parents, qui longtemps t’ont cherché ! Je les ai fait coucher dans notre lit. » Ce qu’entendant, Julien pensa mourir de chagrin. Il fondit en larmes, et dit : « Que vais-je devenir, misérable que je suis ? Ce sont mes chers parents que j’ai tués ! J’ai accompli la prédiction du cerf, pour avoir essayé d’y échapper ! Adieu donc, ma douce petite sœur, car je n’aurai plus de repos jusqu’à ce que je sache que Dieu a agréé mon repentir ! » Mais elle : « Ne crois pas, mon frère bien-aimé, que je te laisse partir sans moi ! De même que j’ai participé à ta joie, je participerai à tes douleurs ! » Ainsi, s’enfuyant ensemble, ils allèrent demeurer au bord d’un grand fleuve dont la traversée était pleine de périls ; et là, tout en faisant pénitence, ils transportaient d’une rive à l’autre ceux qui voulaient traverser le fleuve. Et ils les recueillaient dans un hôpital qu’ils avaient construit. Et, longtemps après, par une nuit glaciale, Julien, qui s’était couché accablé de fatigue, entendit la voix plaintive d’un étranger qui lui demandait de lui faire traverser le fleuve. Aussitôt, se levant, il courut vers l’étranger, à demi mort de froid ; et il l’emporta dans sa maison, et alluma un grand feu pour le réchauffer. Puis, le voyant toujours glacé, il le porta dans son lit et le couvrit avec soin. Or voici que cet