Page:Voyage à travers l’Impossible.djvu/11

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Tartelet : Bon… confidences pour confidences, où allez-vous, M. Vladimir ?

Valdemar (à part) : Il y tient. (haut) Moi… M. Tartelet… je vais… dans un endroit où l’on puisse faire fortune…

Tartelet : Je ne connais pas encore cet endroit-là…

Valdemar : Imaginez-vous que j’aime une jeune fille charmante de Copenhague, Mlle Babichok.

Tartelet : Et naturellement, Mlle Babichok ne vous aime pas, M. Vladimir ?

Valdemar : Encore Vladimir ! mais je vous dis que c’est Valdemar que je me nomme.

Tartelet : Ah ! pardon, jeune homme, c’est qu’il y a des noms que je ne parviens pas à prononcer, et je sens que jamais je ne pourrais dire celui-là. Tenez, j’aime mieux vous appeler Mathieu ! Est-ce convenu ?

Valdemar : Mathieu, ça m’est égal, j’ai beaucoup connu un Mathieu.

Tartelet : Moi aussi.

Valdemar : C’était un astronome.

Tartelet : Mathieu Laensberg, alors ; vous disiez donc Valdemar ?

Valdemar : Ah ! Bon, voilà que vous le dites à présent.

Tartelet : Ah ! pardon, je me suis trompé vous disiez donc que Babichok ?

Valdemar : Est tout à fait folle de moi… Ah ! quelle femme ! Quelle âme ! Quel cœur ! Et jolie !… quand j’y pense, j’ai là… des battements (avec sentiment) Vous les connaissez les battements ?

Tartelet : Si je connais les battements ? Nous avons les grands et les petits.

Valdemar (étonné) : Les grands et les petits ?

Tartelet : Qui permettent de lever une jambe et de la mouvoir de bas en haut, pendant que l’autre supporte tout le poids du corps, essayez !

Valdemar : Que j’essaie !… Quoi ?

Tartelet : Des battements… comme ceci… (Il fait un battement) Essayez !

Valdemar : Il est malade !… mais ce n’est pas de ces battements-là que je parle, quel drôle de savant !

Tartelet : J’y pense pourquoi puisqu’elle vous adore n’avez-vous pas épousé Babichok ?

Valdemar : Il y avait deux obstacles à notre union : d’abord Babichok me trouvait trop gras et trop maigre.

Tartelet : Comment ?

Valdemar : Trop gras de ma personne et trop maigre comme fortune.

Tartelet : Ah !…

Valdemar : Eh ! bien, oui je suis un peu dodu, lui disais-je, mais plus on a de ce qu’on aime, et mieux cela vaut : aussi pour l’embonpoint, peut-être aurait-elle cédé attendu qu’étant trop maigre elle-même, nous aurions fait à nous deux une bonne petite moyenne, un ménage entrelar…

Tartelet : Oui, cela se compensait… il ne restait donc plus que…

Valdemar : Que la fortune ! mais impossible de l’en faire démordre. Elle m’aime trop ! mon Valdemar, disait-elle, je veux que tu sois riche, très riche, que tu aies une belle voiture, de beaux cheveux… non de beaux chevaux… de beaux cheveux aussi… ça. Un bel hôtel où je pourrai à mon aise adorer mon idole ; mais te voir dans la gêne, dans la misère, toi oh ! J’en souffrirais trop, et j’aimerais mieux en éprouver un autre que d’avoir la douleur de partager ta pauvreté. Est-ce du véritable amour, cela, dites Monsieur Tartelet.

Tartelet : C’est du parfait amour, première qualité.

Valdemar : Aussi, suis-je parti dans l’espérance de faire fortune et pour développer encore en voyageant les brillantes qualités de mon âme…

Tartelet : Vous avez bien fait… Mathieu, les pieds !…

Valdemar : J’ai déjà vu pas mal de pays, et avec fruit, j’ose le dire… j’ai étudié les mœurs… j’ai observé les costu… les coutumes et j’ai noté toutes mes poétiques impressions sur ce calpin.

Tartelet : Ce doit être curieux !

Valdemar : Voyez plutôt : France : admirable pays !… Paris : pays admirable !…

Tartelet : C’est court mais c’est clair.

Valdemar : Il faut qu’on me comprenne !… À Paris, mangé du bœuf du veau et du mouton !… suisse.

Tartelet : Du mouton suisse !

Valdemar : Mais non, il y a un point. Suisse : admirable pays ! Genève : pays admirable ! mangé du veau du mouton et du bœuf. Italie : Rome ! Rome.

Tartelet : Mangé du veau, du bœuf et du mouton.

Valdemar : Non, je vous ai laissé dire par politesse, il n’y en a pas ! On ne mange que de la chèvre par là comme ici du macaroni.

Tartelet : Vous écrivez toutes ces impressions pour Mlle Babichok ?

Valdemar : Naturellement ! Ça la distraira ! ainsi que le cousin Finderup que j’ai laissé auprès d’elle.

Tartelet : Ah ! Il y a le cousin Finderup ?

Valdemar : Oui !… Un ami à moi… un brave garçon… qui doit m’écrire partout où je m’arrête et me donner des nouvelles de ma fiancée… et dès que j’aurai fait fortune.